A Berne, la police anti-émeute s’en est prise violemment à des manifestants et des promeneurs. Règne de l’arbitraire
Le droit de manifester combine deux libertés fondamentales qui figurent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 19 et 20) ainsi que dans la Constitution suisse (art. 16 et 22): la liberté d’opinion et la liberté de réunion. Ce droit fait également partie des obligations internationales que la Suisse a contractées (articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, CEDH. et articles 19 et 21 du Pacte II des Nations Unies – Droits civils et politiques). Le droit international prévoit la possibilité de rassemblements spontanés en réaction à l’actualité. La simple absence de notification aux autorités de la tenue d’une manifestation ne rend pas celle-ci illégale et, par conséquent, ne justifie pas à elle seule la dispersion de la manifestation. Et les manifestants ne devraient pas, pour ce motif, être soumis à des sanctions pénales ou administratives se soldant par des amendes ou des peines d’emprisonnement. En résumé: tant que les manifestations sont pacifiques, elles sont protégées par les droits fondamentaux et les droits humains. Cela vaut également pour les manifestations non autorisées et spontanées.
L’appel d’ISOFIA pour un «World Wide Rally for Freedom and Democracy» – un rassemblement pacifique contre les mesures sanitaires dans les capitales le 20 mars
Nous en avons déjà parlé sur BPLT, le collectif ISOFIA a appelé à un rassemblement pacifique contre les mesures sanitaires dans les capitales du monde entier le samedi 20 mars. La Municipalité de Berne a considéré cet appel comme irresponsable et a mandaté le 18 mars la Police cantonale bernoise pour contrer tout rassemblement.
Malgré l’absence d’autorisation, un millier de personnes, la plupart sans pancartes et banderoles, arrivant en compte goutte et en se déplaçant par petits groupes, a fait le déplacement à Berne où les attendaient, dès la gare, 400 polices anti-émeute et quelques dizaines de policiers en civile. La police a bouclé la Place fédérale peu après la fin du marché qui s’y tient, à midi. L’Helvetiaplatz a également été rapidement bouclée, tout comme les ponts donnant accès au centre-ville. Motif invoqué par les forces de l’ordre: l’interdiction en vigueur des rassemblements de plus de 15 personnes dans l’espace public. A un moment donné, toutes les sorties de la gare ont été bouclées. Plus personne ne pouvait entrer ou sortir. Des contrôles d’identité ont eu lieu tout l’après-midi. La police bernoise a annoncé dans la soirée en avoir effectué plus de 600.
Différents témoignages
Les témoignages sont multiples et sidérants. Mickaël*, un Valaisan de 25 ans, participe pacifiquement depuis plusieurs mois à toutes les manifestations contre les mesures sanitaires. Il est sorti de la gare de Berne à 11h15, accompagné de deux amis. Ils se sont fait arrêter et contrôler par la police anti-émeute. Après avoir dû donner leur identité, ils ont été bannis de Berne pour 48 heures (1). Mickaël et ses amis, ne voulant pas partir, sont revenus à la place de la gare et se sont fait arrêter une deuxième fois, avant d’être amenés sur le quai d’où partait le train pour Martigny.
Pascale* et Aron* sont venus de Bienne avec leurs deux jeunes enfants. Ils étaient assis autour d’une table dans le parc Helvetia, comme une cinquantaine d’autres personnes, lorsqu’ils ont été encerclés par la police, contrôlés et expulsés de Berne pour 48 heures. Rien ne laissait penser qu’ils participaient à une manifestation. Juste une petite famille en train de pique-niquer… Déjà trop pour la police.
Un couple lausannois, la septantaine bien sonnée, n’ayant encore jamais participé à une manifestation, s’est rendu à Berne en minibus pour signifier son désaccord avec les mesures sanitaires du Conseil Fédéral. Arrivés vers midi, et comme l’accès au Palais fédéral était bloqué, ils se sont promenés le long de l’Aar pour finalement se reposer dans un petit parc (Münsterplattform). Au bout de quelques minutes, ils ont été encerclés par la police anti-émeute. Atterrés, ils racontent combien ils se sont sentis impuissants face à des policiers qui ressemblaient à des RoboCops, et avec lesquels toutes discussion était impossible vu leur hostilité. La police a annoncé par mégaphone un contrôle d’identité de toutes les personnes rassemblées sur la petite pelouse. Cela a duré quatre heures, puis les gens ont pu partir, avec l’interdiction de remettre les pieds à Berne avant 48 heures. Le plus absurde? Quand le mari a dû aller aux toilettes, un policier l’a accompagné et attendu dehors pour ensuite le ramener dans le parc.
Il y a aussi Florian*, sa sœur Vivianne* et son mari, qui sont venus du Valais. Des indépendants dans la quarantaine. Ils se sont rendus à Berne pour la manifestation. Sans pancartes. Ils se sont retrouvés encerclés sur la Place de la Gare, la police resserrant petit à petit sont cercle autour d’eux durant trois heures. Les trois amis racontent qu’ils se sont sentis pris au piège, pris en otages. Avec comme seule possibilité d’attendre que la police décide de l’heure à laquelle ils allaient pouvoir partir après un contrôle d’identité. Et avec une expulsion de Berne pour 24 heures à la clé.
L’arrestation de la présidente de Bon pour la tête
Et il y a moi. Je me suis rendue à Berne par curiosité journalistique. Sortant de la gare à 14h et voyant ces centaines de policiers anti-émeute parmi deux cents personnes sur la Place de la Gare, je me suis éloignée de mes deux amis pour faire des photos de cette situation surréaliste. Quand j’ai voulu rejoindre mes compagnons, je me suis retrouvée face aux boucliers de policiers me bloquant le chemin. L’un d’eux m’a violement poussée pour me faire reculer. Je me suis rapprochée de lui, essayant de passer l’obstacle des boucliers et parlant d’une voix haute, demandant à ces agents pourquoi ils bloquaient une personne libre, une citoyenne de ce pays. Sans me répondre, avec un regard inexpressif, le même policier m’a une fois de plus poussée violement. Je lui ai dit de ne plus me toucher, que personne n’avait le droit d’entraver ma liberté de circuler, qu’il devait m’expliquer les raison de son geste. Troisième coup sur mon épaule.
Sarah Dohr, la présidente de l’association Bon pour la tête, emmenée par la police anti-émeute bernoise.
Aucune explication. Pourquoi étais-je bloquée par la police? Que me reprochait-on? Silence. Je n’avais face à moi que les yeux figés des agents. Au bout de deux heures, et après une annonce par mégaphone d’une procédure de contrôle d’identité, quatre policiers sont venus me chercher. Ils m’ont violement attrapée aux bras − et ensuite par les pieds puisque j’ai résisté en me laissant tomber − et m’ont amenée vers leur véhicule. J’ai demandé pourquoi ils m’emmenaient. Pas de réponse. J’ai réussi à me libérer mais je n’ai pas vu le grand policier derrière eux – il s’avérera être Haut-Valaisan comme moi – qui m’a violement plaquée contre le véhicule, m’a mis les bras derrière mon dos et m’a mis des menottes bien serrées. Je lui ai demandé pourquoi il me menottait. Toujours aucune réponse. J’ai été conduite en panier à salade jusqu’à Neufeld, le centre d’attente et de détention. J’ai été enfermée dans une cellule, toujours sans aucune information sur les raisons de mon arrestation. Deux heures plus tard, les policiers m’ont amenée dans une petite salle où me furent enfin décrits mes délits: violence contre les policiers, participation à une manifestation non-autorisée, non-respect de la loi covid-19 qui interdit le rassemblement de plus de 15 personnes, non-port du masque. J’ai tout démenti, expliquant être venue par curiosité journalistique, puis comment un policier m’avait violement poussée à trois reprises. Le seul «délit» que j’ai reconnu, c’est le non-port du masque. Ils m’ont laissée partir une heure plus tard, il était 19h.
La Suisse, un pays au fonctionnement arbitraire
Le même jour, le 20 mars, une grande manifestation contre les mesures sanitaires (!) a été autorisée à Liestal (BL). Plus de 8500 personnes se sont rendues dans cette petite ville et il n’y a eu aucun débordement à signaler. La police les a accompagnées dans le calme et avec respect.
Le samedi précédant, une manifestation des supporteurs du FC Bâle a reçu une autorisation pour manifester contre l’intention de vendre des parts du club à la société d’investissement britannique Centricus. 3500 personnes y ont participé et ont allumé des «pyros» et des pétards. La police n’est pas intervenue. Deux semaines auparavant, début mars, 1000 supporteurs du FC Bâle avaient déjà protesté, lors d’une manifestation non-autorisée, contre la suspension du capitaine de l’équipe. Des affiches furent déployées, des drapeaux hissés et des chants entonnés. La police n’est pas intervenue parce qu’elle estimait que la situation restait pacifique. Piquant: le 22 février, des militants kurdes n’ont pas reçu l’autorisation de défiler à Bâle. Ils sont quand même descendus dans la rue et ont été dispersés par la police à coups de balles en caoutchouc.
Une autre scène s’est produite le 6 mars à Zürich, où de nombreuses femmes ont été brutalement arrêtées lors d’un rassemblement non-autorisé, à l’appel de l’alliance «8. März Unite». Les manifestantes ont été encerclées par des policiers anti-émeute et des canons à eau. Peu de temps après, la police a extirpé les militantes de la foule pour les arrêter. Ce faisant, ils ont procédé de manière tout à la fois arbitraire et violente. Une personne a été frappée à plusieurs reprises à la tête. Des femmes ont été traînées sur le sol et menottées dans le dos.
Ces différents traitements des manifestations autorisées ou non sont arbitraires et soulignent par excellence l’expression «deux poids, deux mesures». Dans un monde où le droit international protège les manifestations pacifiques, quelle sont donc les règles en Suisse? La Suisse est-elle partiale, envoyant des centaines de policiers anti-émeute contre certains manifestants et pas contre d’autres?
Quand les citoyens de ce pays n’ont plus le droit d’exprimer pacifiquement leurs opinons, quand leur présence inoffensive sur tel ou tel lieu est jugée suspecte, quand des bannissements de la ville sont décrétés pour 48 heures (comme au Moyen Âge lorsque l’on repoussait les indésirables hors des murs!), alors on peut sans se tromper dire que l’Etat tombe dans l’arbitraire.
*Noms connus de la rédaction
(1) Extrait des lois de la police cantonale bernoise concernant l’interdiction d’accès à la ville :
7.2.6 Renvoi et interdiction d’accès
Art. 83
En général
1. Conditions et contenu
1 La Police cantonale peut renvoyer temporairement une ou plusieurs personnes d’un lieu ou leur en interdire l’accès si
a |
la sécurité et l’ordre public sont troublés ou menacés, en particulier en raison d’un attroupement; |
b |
des tiers sont considérablement importunés ou mis en danger; |
c |
ces personnes entravent, troublent ou menacent des interventions visant au rétablissement de la sécurité et de l’ordre public ou des actions de sauvetage, menées en particulier par les forces de police, les sapeurs-pompiers et les services de sauvetage; |
d |
elles empêchent ou gênent la Police cantonale dans l’application d’ordonnances exécutoires ou qu’elles s’ingèrent dans son action; |
e |
elles sont menacées d’un danger grave et imminent; |
f |
elles portent atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’une autre personne, menacent cette dernière ou l’importunent de manière répétée, en particulier en la harcelant, notamment dans des cas de violence domestique; |
g |
une telle mesure est propre à préserver les droits des personnes, en particulier à protéger la dignité ou |
h |
ces personnes campent sans autorisation sur le terrain d’un particulier ou d’une collectivité publique.[9] |
https://www.belex.sites.be.ch/frontend/versions/1958?locale=fr
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