«S’il suffisait de porter un masque…» Lettre ouverte à Daniel Koch

Publié le 6 avril 2020

Puisque le matériel a fait défaut, la seule stratégie envisageable était celle du confinement… – © Pixabay

Samedi face à la presse, Daniel Koch, «Monsieur Covid-19» de l’Office fédéral de la santé publique, a proféré un gros mensonge. Cette lettre pour lui dire que nous ne sommes pas des idiots: la pénurie de masques est un ratage politique magistral, il faut l’admettre.

Cher Monsieur Koch,

 

Samedi 4 avril, dans un point presse sur la crise sanitaire, vous avez déclaré: «S’il suffisait de porter des masques pour pouvoir retourner au travail de manière sécurisée, cela aurait déjà été fait.» C’est un gros mensonge. Cela n’aurait pas été fait parce que des masques, il n’y en avait pas.

Je ne suis pas de ceux qui trouvent «nulle» la manière dont la crise sanitaire est gérée en Suisse, je suis plutôt du côté des citoyens (une majorité, il me semble) qui font confiance à la «task force» fédérale. J’apprécie notamment le choix qui a été fait de miser sur la responsabilisation individuelle plutôt que de décréter le confinement strict, comme en France ou en Italie.

Mais justement, Monsieur Koch: si vous voulez que l’on continue à vous faire confiance, il ne faut pas nous mentir. Nous ne sommes pas des imbéciles. Pour faire confiance, nous avons besoin qu’on nous dise la vérité.   

La vérité, le médecin et diplomate français Jean-Christophe Rufin l’a résumée l’autre matin sur France Culture: il y a des pandémies très létales, comme Ebola, face auxquelles la stratégie du confinement généralisé s’impose sans discussion. Le Covid-19 n’en fait pas partie: il s’agit d’un virus relativement peu mortel, face auquel la stratégie la plus pertinente est peut-être celle du confinement généralisé, mais peut-être pas. Peut-être qu’il vaut mieux miser sur une approche «à la coréenne»: au lieu de paralyser le pays tout entier (avec les dégâts humains et économiques que cela implique), on met le paquet sur le dépistage massif et la protection ciblée des personnes à risque.

Jean-Christophe Rufin ne dit pas qu’une stratégie est à coup sûr meilleure que l’autre, il dit que ça se discute. Mais qu’en l’occurrence, ça ne s’est pas discuté du tout, pas plus en Suisse qu’en France. Pourquoi? Parce qu’une approche de protection ciblée, ça se prépare: il faut notamment avoir en stock des tonnes de masques, de matériel de protection, de tests. Or, ce matériel a fait défaut. La stratégie du confinement général n’a pas été choisie parce qu’elle était la meilleure mais simplement parce qu’il n’y en avait pas d’autre. Alors non, Monsieur Koch: même «si cela suffisait de mettre un masque», cela n’aurait PAS été fait. Des masques, il y en avait tellement peu que des soignants, des éducateurs, des employés de CMS se sont retrouvés à travailler sans protection. Depuis quelques jours, ça va un peu mieux, semble-t-il. Mais il faut l’admettre: si nous avions été prêts avec les bons stocks de matériel, nous aurions pu envisager une autre stratégie et peut-être éviter la catastrophe économique et sociale.

Pourquoi n’étions-nous pas prêts? Pourquoi la Suisse, pays de la prévoyance, du bas de laine et des abris anti-atomiques, n’a-t-elle pas fait mieux que ses voisins? Sûrement pas parce qu’elle n’avait pas un bon plan pandémie. Ce plan existe, commandé par le Conseil Fédéral à une commission d’experts de la société civile qui a pris la chose très à cœur et rédigé des recommandations précises et pertinentes, notamment concernant les stock de matériel. Simplement, ces recommandations sont restées dans les tiroirs, apparemment à l’échelle des gouvernements cantonaux. C’est un véritable «ratage d’Etat», comme le dit l’Illustré de cette semaine, qui a enquêté sur la question. Un ratage dont il serait urgent de tirer les leçons. A quoi cela sert-il de nommer des commissions extra-parlementaires hautement compétentes si c’est ensuite pour «schubladiser» leurs rapports?

Pour tirer les leçons de l’échec, il faudrait commencer par l’admettre. Ca nous ferait du bien de vous entendre dire: «On a complètement foiré sur ce coup-là, la pénurie de masques est un ratage grave. Et si on vous a dit qu’ils étaient inutiles, c’était pour ne pas vous affoler.» Sont-ils utiles ou non, au bout du compte, dans un emploi généralisé? La question, semble-t-il, reste controversée. Mais le jour où une certitude scientifique émergera, Monsieur Koch, et que vous entrependrez de nous la communiquer, comment voulez-vous qu’on vous croie?

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

PolitiqueAccès libre

Pacifistes, investissez dans l’armement!

Le journal suisse alémanique «SonntagsZeitung» n’a aucun scrupule: dans sa rubrique Argent, il recommande désormais, avec un certain enthousiasme, d’acheter des actions dans le secteur de la défense… lequel contribue à la paix, selon certains financiers.

Marco Diener
Culture

Vallotton l’extrême au feu de glace

A propos de la rétrospective «Vallotton Forver» qui a lieu à Lausanne, dix ans après l’expo déjà mémorable du Grand Palais à Paris, et d’un petit livre d’une pénétrante justesse sensible de Maryline Desbiolles.

Jean-Louis Kuffer
PolitiqueAccès libre

Qui a des droits et qui n’en a pas, la démocratie à géométrie variable

Les votations cantonales vaudoises en matière de droits politiques, notamment pour les résidents étrangers, soulèvent des questions allant bien au-delà des frontières cantonales et nationales. Qu’est-ce qu’une communauté? Qui a le droit d’en faire partie? Qui en est exclu? Est-ce la raison et la logique ou bien plutôt les affects (...)

Patrick Morier-Genoud
Histoire

La Suisse des années sombres, entre «défense spirituelle» et censure médiatique

En période de conflits armés, la recherche de la vérité est souvent sacrifiée au profit de l’union nationale ou de la défense des intérêts de l’Etat. Exemple en Suisse entre 1930 et 1945 où, par exemple, fut institué un régime de «liberté surveillée» des médias qui demandait au journaliste d’«être (...)

Martin Bernard
Politique

Bonnes vacances à Malmö!

Les choix stratégiques des Chemins de fer fédéraux interrogent, entre une coûteuse liaison Zurich–Malmö, un désintérêt persistant pour la Suisse romande et des liaisons avec la France au point mort. Sans parler de la commande de nouvelles rames à l’étranger plutôt qu’en Suisse!

Jacques Pilet
SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Politique

La neutralité fantôme de la Suisse

En 1996, la Suisse signait avec l’OTAN le Partenariat pour la paix, en infraction à sa Constitution: ni le Parlement ni le peuple ne furent consultés! Ce document, mensongèrement présenté comme une simple «offre politique», impose à notre pays des obligations militaires et diplomatiques le contraignant à aligner sa politique (...)

Arnaud Dotézac
Culture

Stands de spritz et pasta instagrammable: l’Italie menacée de «foodification»

L’explosion du tourisme gourmand dans la Péninsule finira-t-elle par la transformer en un vaste «pastaland», dispensateur d’une «cucina» de pacotille? La question fait la une du «New York Times». Le débat le plus vif porte sur l’envahissement des trottoirs et des places par les terrasses de bistrots. Mais il n’y (...)

Anna Lietti
Politique

Honte aux haineux

Sept enfants de Gaza grièvement blessés sont soignés en Suisse. Mais leur arrivée a déclenché une tempête politique: plusieurs cantons alémaniques ont refusé de les accueillir, cédant à la peur et à des préjugés indignes d’un pays qui se veut humanitaire.

Jacques Pilet
Economie

Le secret bancaire, un mythe helvétique

Le secret bancaire a longtemps été l’un des piliers de l’économie suisse, au point de devenir partie intégrante de l’identité du pays. Histoire de cette institution helvétique, qui vaut son pesant d’or.

Martin Bernard
Santé

L’histoire des épidémies reste entourée de mystères et de fantasmes

Les virus n’ont pas attendu la modernité pour bouleverser les sociétés humaines. Dans un livre récent, les professeurs Didier Raoult et Michel Drancourt démontrent comment la paléomicrobiologie éclaire d’un jour nouveau l’histoire des grandes épidémies. De la peste à la grippe, du coronavirus à la lèpre, leurs recherches révèlent combien (...)

Martin Bernard
Sciences & Technologies

Des risques structurels liés à l’e-ID incompatibles avec des promesses de sécurité

La Confédération propose des conditions d’utilisation de l’application Swiyu liée à l’e-ID qui semblent éloignées des promesses d’«exigences les plus élevées en matière de sécurité, de protection des données et de fiabilité» avancées par l’Administration fédérale.

Solange Ghernaouti
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Identité numérique: souveraineté promise, réalité compromise?

Le 28 septembre 2025, la Suisse a donné – de justesse – son feu vert à la nouvelle identité numérique étatique baptisée «swiyu». Présentée par le Conseil fédéral comme garantissant la souveraineté des données, cette e-ID suscite pourtant de vives inquiétudes et laisse planner la crainte de copinages et pots (...)

Lena Rey
Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin