Publié le 24 janvier 2025
L’entrée fracassante de Trump sur la scène mondiale secoue le monde, l’Occident avant tout. Les Européens en particulier. Comment réagiront-ils dans les faits, une fois passés les hauts cris? L’événement et ses suites leur donnent l’occasion de se ressaisir. Pas tant sur l’enjeu militaire, pas aussi décisif qu’on ne le dit, mais sur les plans économiques, scientifiques et sociétaux.

L’ère de la soumission à Washington, politique et économique, ne pourra plus se prolonger avec l’acquiescement aveuglé des peuples. Elle deviendrait trop voyante, trop choquante. L’un des tests sera la réaction à la décision de Trump de sortir de l’accord (OCDE) sur l’imposition minimale à 15 % des multinationales, accompagnée de menaces pour les pays qui la maintiendront. En géopolitique il deviendra difficile de suivre béatement les USA sur la Russie, Israël et la Chine quand ils s’en prendront au Panama et au Groenland. 

La guerre des tarifs douaniers? Elle aura lieu, elle annonce une sérieuse crispation du commercial mondial mais elle réservera bien des surprises. Chez les Américains aussi. Elle y provoquera l’inflation. Au détriment des modestes gens… qui ont voté pour Trump. Et de grandes entreprises internationales – à commencer par celles de Elon Musk! – ne tarderont pas à se rebeller devant ce frein aux échanges. On peut espérer que des conseillers du Caïd lui rappellent que la barrière protectionniste dressée en 1930 par le président Hoover a conduit au désastre, à l’explosion du chômage. Il a fallu une politique inverse, plus sociale aussi, menée par Roosevelt pour redresser les Etats-Unis. 

Il faudra de l’ambition… et de la ruse aussi

Les diktats et manœuvres malveillantes ne datent pas d’aujourd’hui. C’est Biden qui a mis en place un système pour attirer les entreprises européennes grâce au prix de l’énergie et aux cadeaux d’impôts. L’extraterritorialité du droit américain qui met les banques européennes – et suisses! – sous surveillance date de la présidence de Obama. Désormais, assortie de menaces contre les BRICS qui s’éloignent du dollar, cette politique des pressions et rétorsions apparaîtra plus évidente et choquante que jamais. A maints égards, nous sommes dans un processus de vassalisation. Même le sage François Bayrou met en garde contre la «soumission» face à «la politique dominatrice américaine». Retrouver notre dignité passe par un effort mental, un élargissement de la vision. Passer outre un instant sur les bisbilles entre pays, entre partis, entre coqs carriéristes. Envisager le présent au regard de l’histoire passée et de celle à venir. Il faudra de l’ambition… et de la ruse aussi pour détourner les sales coups qui se préparent. 

Les gifles de Trump nous réveilleront-elles? Pas sûr mais pas exclu. L’Europe compte plus d’habitants que les USA et le Canada. Elle traverse une mauvaise passe économique et politique certes, mais son potentiel reste considérable. A condition de le libérer. La manie de tout réguler, tout censurer, dans une obsession à la fois politique et moraliste, freine sa créativité. Il n’y a aucune raison de ne pas rester en pointe de la médecine, de ne pas inventer des sources d’énergie plus durables que «l’or noir», le dada de Trump. Aucune raison de baisser les bras devant son projet gigantesque d’intelligence artificielle «Stargate» à 500 milliards de dollars. L’IA se nourrit non seulement de l’abondance monstrueuse des données mais aussi de la finesse d’esprit.

Le temps est venu de valoriser nos atouts

Le sursaut est urgent. Il a été clairement tracé par Mario Draghi et sottement négligé. Aujourd’hui une grande part de la fortune européenne file vers Wall Street et les bons du Trésor américain. Le jour où l’UE en proposera, à de meilleures conditions, avec des buts clairs et prometteurs, les investisseurs reverront leurs priorités.

Mais qui porte un tel discours à la fois serein et résolu? Les cris d’orfraie devant les provocations de Trump ou un geste de Musk vu comme un salut nazi ne font pas avancer d’un pouce. Ils nous enfoncent dans le rôle de spectateurs effarés. Alors que le temps est venu de valoriser nos atouts. En matière industrielle, nous n’avons aucun complexe à avoir devant l’Amérique. Où les Boeing battent de l’aile et les voitures se vendent mal. Les géants du GAFA? Oui, ils sont puissants, mais ils n’effraient ni les Russes ni les Chinois et bien d’autres, pourquoi devraient-ils faire trembler les Européens? Qu’attendent donc ceux-ci pour lancer leurs propres plateformes? Ce serait plus efficace que de multiplier les surveillances et les interdits, détournés de toute manière. Des projets sont en marche, en France, en Espagne, en Pologne et ailleurs. Prêtons leur plus d’attention. 

Evidemment redresser la tête exige d’ouvrir les yeux. De lever les nez collés aux vieilles habitudes. Là, il y a encore du chemin. A en juger, petit exemple, par les Suisses qui confient les données sensibles de la Confédération, ou même celles des hôpitaux (voir le CHUV), à des géants d’outre-Atlantique plutôt qu’à des entreprises helvétiques parfaitement capables d’assurer ces services. 

Se lancer résolument dans la course technologique, avec les moyens nécessaires, avec des efforts accrus dans l’éducation et la formation, plutôt que de pleurnicher sur les casse-têtes de l’immigration, voilà un meilleur programme que le surarmement au profit des USA! D’ailleurs, soit dit en passant, si ceux-ci excellent dans certains domaines, c’est dû pour une grande part aux migrants hyperformés venus d’Asie… 

«America first»? Non merci!

Ces attentes n’excluent nullement la réaffirmation des plus précieux fondements de l’Europe. Des idéaux qu’elle a été la première à formuler au cours des derniers siècles. Pour des sociétés où les Etats veillent le mieux qu’ils peuvent au bien-être, à la solidarité sociale, au respect des minorités, à la culture de la diversité, à l’environnement aussi, de manière résolue et concrète. Et à la paix! Quand prendra fin la guerre en Ukraine, il s’agira à la fois de la reconstruire et de rétablir des relations avec la Russie. De trouver des chemins pacifiques au Moyen-Orient et ailleurs. Non, ce n’est pas utopique. 

Enfin l’Europe, et particulièrement la Suisse, doivent œuvrer sans se laisser intimider par les provocations, pour maintenir, renforcer les institutions qui garantissent le droit humanitaire, le droit international. Unir les pays, nombreux dans le monde, qui refusent leur sabordage. Sur la durée, cette cause l’emportera. En dépit de la frénésie de l’allumé en chef et de sa cohorte d’oligarques multimilliardaires. Au vu des rapports de forces en train de se redessiner, l’ambition des USA de dominer la planète, ancienne mais réaffirmée avec brutalité, se fracassera peu à peu. Dans les quatre ans à venir. 

«America great again», très bien. «America first», non merci. 

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