Publié le 8 septembre 2023
Tiktok? Mais c’est pour les jeunets et jeunettes!, entend-on souvent. Attention: la plateforme d’origine chinoise, c’est plus bien plus que cela. Un bal de narcissiques de tout poil, sans doute. Mais aussi un moyen d’expression politique. Les prises de paroles foisonnent ces temps-ci en Afrique. Et en disent long.

Tiktok, depuis son lancement il y a cinq ans, compte plus de 1,7 milliards d’usagers dans le monde, plus de quinze millions en France. Présent dans 155 pays, dans 75 langues. Un phénomène unique à cette échelle. Près de 20% des Africains ont un compte sur ce réseau. En tête, le Kenya et l’Afrique du Sud, notamment grâce à la présence des chanteurs et chanteuses les plus populaires, comme «Jerusalema» un tube qui fait un tabac inouï. Tiktok subventionne une foule de groupes musicaux pour s’implanter toujours plus largement dans les jeunes générations. En Afrique francophone, la plateforme s’enflamme ces temps-ci, dans le sillage des événements au Niger et au Gabon. Des dizaines de personnalités, très diverses, déversent leurs commentaires, leurs harangues, leurs rires et leurs colères. Des jeunes filles à la langue bien pendues aux professeurs avisés. Des commentateurs autoproclamés aux généraux lourdement galonnés. Des analystes froids aux quidams tempétueux. Des esprits critique aux propagandistes. Tous veulent apparaître là. Compter leurs approbateurs et leurs abonnés.

Une fois épuré des videos sans intérêt et envahissantes, une fois reconnus vos centres d’intérêt par les algorithmes (la fonction recherche est utile), le déferlement de ces discours et de ces images en apprend beaucoup sur les humeurs africaines actuelles. Comme si elles avaient été longtemps retenues et qu’à la faveur des derniers soubresauts politiques, elles émergeaient soudain librement, confusément, mais avec quelques directions majoritaires. Le rejet de la France, mais non du peuple français, précisent certains. Emmanuel Macron en prend pour son grade. Un rigolo très sérieux lui adresse un grand merci! Parce qu’à chaque fois qu’il parle de l’Afrique, le Président trop sûr de lui renforce l’envie grandissante de rompre avec la France… Le point de vue français? Il apparaît aussi, surtout par des extraits de débats télévisés (RFI, LCI, C’dans l’air, etc.), mais il s’exprime avec moins de force et d’ingéniosité.

Plus largement on perçoit une volonté de réaffirmer la dignité de tous les Africains, de tous les Noirs. Exemple? Une charmante coquine s’interroge: «Je compte des dizaines de chefs d’Etat africains depuis l’indépendance qui ont eu des épouses et des maîtresses blanches. Combien de présidents blancs ont des compagnes noires?»

Le pouls politique bat fort. Les chefs d’Etat accrochés depuis des lustres à leur pouvoir et à leur richesse sont vivement attaqués. Certains ont du souci à se faire. Les premiers dans le viseur? Le président du Tchad, adoubé par l’armée française; le patriarche Paul Biya au Cameroun, 90 ans, au pouvoir depuis 1988; Denis Sassou Nguesso, patron du Congo Brazzaville, bien vu lui aussi à Paris, 80 ans, depuis 26 ans à la présidence; Theodoro Obiang Nguema, qui a hérité le pouvoir de son oncle en 1979. Sur un registre moins violent les critiques fusent aussi à l’endroit de Alassane Ouattara, élu trois fois président de la Côte d’Ivoire. Et envers Macky Sall, à la tête du Sénégal qui, avec l’arrestation du rival principal du Président et l’interdiction du parti d’opposition, connaît des tensions bien plus graves que ne le laissent paraître les médias institutionnels français.

Grande question: les Chinois manipulent-ils cette bouillie verbale? Possible mais pas sûr. Il faut admettre que l’on trouve sur Tiktok, à propos de l’Afrique en tout cas, une grande diversité d’opinions. Quoi qu’on pense de cette plateforme, des dangers de l’émotionnalité et de la superficialité qui lui sont inhérentes, on aurait tort de l’ignorer. Elle fournit le pain quotidien de l’information à tout un pan du monde.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

CultureAccès libre

Vive le journalisme tel que nous le défendons!

Pourquoi BPLT fusionne-t-il avec d’Antithèse? Pour unir les forces de deux équipes attachées au journalisme indépendant, critique, ouvert au débat. Egalement pour être plus efficaces aux plans technique et administratif. Pour conjuguer diverses formes d’expression, des articles d’un côté, des interviews vidéo de l’autre. Tout en restant fidèles à nos (...)

Jacques Pilet

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Plaidoyer pour l’humilité intellectuelle

Les constats dressés dans le dernier essai de Samuel Fitoussi, «Pourquoi les intellectuels se trompent», ont de quoi inquiéter. Selon l’essayiste, l’intelligentsia qui oriente le développement politique, artistique et social de nos sociétés est souvent dans l’erreur et incapable de se remettre en question. Des propos qui font l’effet d’une (...)

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet

Jean-Stéphane Bron plaide pour une diplomatie «de rêve»

Plus de vingt ans après «Le Génie helvétique» (2003), puis avec l’implication politique élargie de «Cleveland contre Wall Street» (2010), le réalisateur romand aborde le genre de la série avec une maestria impressionnante. Au cœur de l’actualité, «The Deal» développe une réflexion incarnée, pure de toute idéologie partisane ou flatteuse, (...)

Jean-Louis Kuffer

La loi du plus fort, toujours

Le mérite de Donald Trump est d’éclairer d’une lumière crue, sans fioritures, la «loi du plus fort» que les Etats-Unis imposent au monde depuis des décennies. La question des barrières douanières est le dernier avatar de ces diktats qui font et firent trembler le monde, au gré des intérêts de (...)

Catherine Morand

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

Quand la France et l’UE s’attaquent aux voix africaines

Nathalie Yamb est une pétroleuse capable de mettre le feu à la banquise. Elle a le bagout et la niaque des suffragettes anglaises qui défiaient les élites coloniales machistes du début du XXe siècle. Née à la Chaux-de-Fonds, d’ascendance camerounaise, elle vient d’être sanctionnée par le Conseil de l’Union européenne.

Guy Mettan
Accès libre

Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas encore interdit TikTok?

L’an passé, le congrès américain a décidé que le réseau social devait être interdit s’il restait en mains chinoises, ceci afin d’éviter que les données des étatsuniens soient récupérées par Pekin. Il s’agissait prétendument d’une question de «sécurité nationale». Mais le président Trump a pour la troisième fois reporté l’interdiction, (...)

Urs P. Gasche

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet