Analyse d’une photo de guerre problématique

Publié le 25 août 2023
Mardi 22 août dernier, le journal «Le Temps» a publié en Une la photo choc d’un soldat ukrainien qui, par sa mise en scène et son ambigüité, me semble emblématique de la propagande qui entache la couverture du conflit ukrainien depuis le début. A l’examen, elle est même si caricaturale qu’elle finit par dire le contraire de ce qu’on voulait lui faire dire.

Il vaut donc la peine de l’analyser de près, ne serait-ce que pour mieux comprendre, le cas échéant, le fonctionnement de la (dés)information de guerre.

Avec cette photo, il s’agissait sans doute, dans l’esprit de son réalisateur et des éditeurs, de montrer à la fois l’héroïsme des soldats ukrainiens et la sauvagerie des attaques russes qui semblent s’en prendre à de pauvres hommes isolés au milieu du champ de bataille.

A première vue le but est atteint. Le chapeau qui vole, les éclats et la poussière de l’explosion à l’arrière-plan, la bouche noire du soldat qui semble figée d’horreur, le lance-grenade prêt à vomir sa charge, tous les ingrédients du drame sont là, dans une mise en scène qui n’est pas sans rappeler – dans un contexte tout différent – la fameuse photo du soldat républicain de Robert Capa pendant la guerre d’Espagne et, par l’expression du visage, le «Cri» d’Edvard Munch. Les références sont parfaites. Un soldat innocent est frappé à mort en défendant sa patrie: c’est l’impression qu’on en retire si on se contente d’un coup d’œil superficiel.

Mais au deuxième et au troisième regards, on constate que beaucoup de choses clochent dans cette photo. Tout d’abord, le soldat qui figure au premier plan se découpe trop nettement du fond. Les bords sont trop nets pour être vrais: il pourrait donc s’agir d’un montage dans lequel on a incrusté un soldat à l’entrainement sur l’image d’une déflagration quelconque. Surtout que si l’explosion d’un obus avait eu lieu dans le dos du soldat, celui-ci aurait été projeté à terre par le souffle. Et cela, pour ne rien dire du photographe, qui donne pourtant l’impression d’avoir été lui aussi au milieu de l’action.

L’équipement du soldat est aussi surprenant: les images en provenance du front nous montrent habituellement des soldats casqués, même lorsqu’ils sont au repos ou abrités dans des véhicules blindés. Il semble pour le moins étrange, et plutôt inconscient, de se balader au milieu des tirs sur le champ de bataille en portant un simple béret de toile prêt à s’envoler et une coiffe de feuillages qui rappelle davantage Papageno dans la Flûte enchantée que le harnachement sophistiqué des grenadiers d’assaut.

L’expression du visage et la bouche grande ouverte, sans menton ni cou visible, ainsi que la répartition des aplats noirs sur la partie droite du visage et de la poitrine du combattant semblent aussi davantage relever de la dramatisation photoshopée que des ombres naturelles.

Et enfin, dernier détail qui tue, la tête de mort et le slogan qui ornent la pochette attachée à la ceinture du soldat au premier plan. On ne savait pas que la tête de mort inspirée des SS figurait officiellement sur les uniformes de l’armée ukrainienne. A moins évidemment qu’il ne s’agisse là d’un combattant d’un des nombreux bataillons néonazis qui encadrent l’armée régulière et qui, selon les médias occidentaux, ne sont pas censés exister.

Bref, dans le doute, on aimerait bien savoir où, comment, dans quelles circonstances précises, par qui et avec qui cette photo a été prise.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
CultureAccès libre

Vive le journalisme tel que nous le défendons!

Pourquoi BPLT fusionne-t-il avec d’Antithèse? Pour unir les forces de deux équipes attachées au journalisme indépendant, critique, ouvert au débat. Egalement pour être plus efficaces aux plans technique et administratif. Pour conjuguer diverses formes d’expression, des articles d’un côté, des interviews vidéo de l’autre. Tout en restant fidèles à nos (...)

Jacques Pilet
Culture

Ecrivaine, éditrice et engagée pour l’Ukraine

Marta Z. Czarska est une battante. Traductrice établie à Bienne, elle a vu fondre son activité avec l’arrivée des logiciels de traduction. Elle s’est donc mise à l’écriture, puis à l’édition à la faveur de quelques rencontres amicales. Aujourd’hui, elle s’engage de surcroît pour le déminage du pays fracassé. Fête (...)

Jacques Pilet

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch

La fin du sionisme en direct

La guerre totale menée par Israël au nom du sionisme semble incompréhensible tant elle délaisse le champ de la stratégie politique et militaire pour des conceptions mystiques et psychologiques. C’est une guerre sans fin possible, dont l’échec programmé est intrinsèque à ses objectifs.

David Laufer

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet

La géopolitique en mode messianique

Fascinés par le grand jeu mené à Anchorage et Washington, nous avons quelque peu détourné nos regards du Moyen-Orient. Où les tragédies n’en finissent pas, à Gaza et dans le voisinage d’Israël. Où, malgré divers pourparlers, aucun sursis, aucun accord de paix ne sont en vue. Où un nouvel assaut (...)

Jacques Pilet

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan

Les Européens devant l’immense défi ukrainien

On peut rêver. Imaginons que Trump et Poutine tombent d’accord sur un cessez-le-feu, sur les grandes lignes d’un accord finalement approuvé par Zelensky. Que feraient alors les Européens, si fâchés de ne pas avoir été invités en Alaska? Que cette hypothèse se confirme ou pas, plusieurs défis controversés les attendent. (...)

Jacques Pilet

Des nouvelles de la fusion de «Bon pour la tête» avec «Antithèse»

Le nouveau site sera opérationnel au début du mois d’octobre. Voici quelques explications pour nos abonnés, notamment concernant le prix de l’abonnement qui pour eux ne changera pas.

Bon pour la tête