Qui autorise qui à rire de quoi?

Publié le 24 décembre 2021
Un sketch de la comédienne Claude Inga-Barbey crée la polémique. Est-elle une vilaine raciste anti-Asiatiques et anti-transsexuels ou au contraire une sainte martyre de la liberté d’expression? Et chacun, selon sa posture, de nous expliquer ce qu’est l’humour et ce qu’il n’est pas. La principale intéressée, elle, a décidé de s'autocensurer.

Peut-on rire de tout? Physiquement et théoriquement, oui, bien sûr. On peut rire des stéréotypes culturels, d’Hiroshima, des anti-vax, du coronavirus, des tics de langage, des blondes, des enfants abusés sexuellement, du cancer, de la pollution, de l’esclavage, des climato-sceptiques, du pape, de la Shoah, d’Allah, de vous, de moi…

Est-on autorisé à rire de tout? Cette question est plus intéressante intellectuellement car plus complexe. Elle amène aussitôt une autre question essentielle à la compréhension de notre monde: Qui autorise qui à rire de quoi?

Racisme ou humour au second degré?

Sur le site du quotidien Le Temps, la comédienne Claude Inga-Barbey incarnait une fois par semaine «une psy névrosée qui reçoit en consultation des personnages au cœur de l’actualité». Si en mars il lui avait été reproché une vidéo jugée «transphobe», c’est aujourd’hui de racisme qu’elle est accusée, pour avoir mis en scène des stéréotypes concernant les Chinois.

Martine Brunschwig-Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), aurait déclaré qu’avec le sketch en question, «on n’est plus au stade de l’humour». Pour les soutiens de la comédienne, il s’agirait au contraire d’humour au second degré, sans oublier qu’une artiste a le droit – divin? – de dire ce qu’elle veut du moment qu’il s’agit «d’art».

A partir de là, les outragés des deux camps sont montés sur leurs grands chevaux sur les réseaux sociaux, confits dans l’esprit de sérieux, pour nous expliquer ce qu’est l’humour, le vrai. Et la liberté. La comédienne, elle, a finalement décidé de mettre fin à sa chronique vidéo pour en tenir une, dès janvier, dans la version papier du Temps.     

Malgré ce que pourraient laisser penser les postures moralisatrices des uns et des autres, Claude Inga-Barbey n’est ni raciste ni censurée. Elle ne prône aucun apartheid pour les Asiatiques mais elle ne risque heureusement pas non plus de se faire assassiner comme les dessinateurs de Charlie Hebdo

L’humour comme signe d’appartenance

Certains trouvent drôle de dessiner la moustache d’Hitler sur une photo d’Eric Zemmour ou de faire passer Guy Parmelin pour un crétin, tandis que d’autres rient aux blagues les plus sexistes et les plus racistes.

De manière générale, l’humour, c’est comme l’érotisme: le nôtre nous semble plus acceptable que celui des autres. Ainsi, le public de Jean-Marie Bigard n’est pas le même que celui de Thomas Wiesel, les plaisanteries de Cyril Hanouna ne font pas rire les fans de Yann Barthès. L’humour sert souvent à affirmer son appartenance à un entre-soi.

Sauf qu’après une période lymphatique où la consommation des nouvelles technologies a occupé le devant de la scène, nous assistons au retour en force des idéologies. C’est moins confortable car cela remet beaucoup de choses en question, mais c’est intéressant car cela interroge nos actes: qu’elles en sont les causes, les conséquences, les finalités?

Cette polémique au sujet des sketchs de Claude-Inga Barbey nous oblige à réexaminer le sujet. Aujourd’hui, l’humour est devenu une valeur respectable – moralement et commercialement, souvent acratopège. En Occident, ses martyrs ne sont par bonheur pas légion, et dans certaines strates de la petite-bourgeoisie de gauche, il s’agit d’une dictature molle où chacun est sommé de rire de tout ce qui n’en fait pas partie – mais attention, pas avec n’importe qui!

Rire, rire encore… Pour combler le silence de nos vies?

Mais bon, je ne vais pas finir ce commentaire sur une note aussi sombre et si sérieuse.

Comme une pirouette – pouet pouet – il faut que je vous avoue que mon humour préféré est subversivement «bête et méchant»: il renvoie dos à dos les bien-pensants de tous les camps.

Vous ne trouvez pas ça drôle?

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