Publié le 8 mars 2024
La guerre continue à Gaza, sans même une trêve, repoussée aux pires calendes. La colonisation s’intensifie en Cisjordanie. Qu’adviendra-t-il de la Palestine? La tempête des émotions est légitime. Les beaux discours sans effets foisonnent. Mais dans l’ombre plusieurs puissances manœuvrent, élaborent des plans pour l’après-Gaza. Des négociations secrètes se nouent. Tour d’horizon.

Rien ne paraît pouvoir arrêter l’offensive israélienne sur la bande de Gaza, en dépit de la tragédie innommable qu’elle provoque. Même Biden n’y parvient pas. Ses avions livrent à Tsahal, jour après jour, munitions et bombes qui maintiennent le feu, et d’autres larguent des aliments sur la population affamée. Aberration historique. Mais tout indique que tôt ou tard, après des mois de conflit violent, les combattants du Hamas seront vaincus, même si son idéologie, ses antennes politiques survivront. Israël est déterminé à contrôler dans l’avenir ce champ de ruines. Alors que faire des Palestiniens devenus indésirables chez eux? Sans le dire trop haut, plusieurs puissances, les Etats-Unis, la plupart des Etats du Golfe, d’entente avec les Israéliens, font pression sur l’Egypte pour qu’elle accepte la construction d’un immense camp dans le Sinaï pour accueillir les déplacés. Son emplacement est déjà balisé. Il est prévu l’accueil de 500’000 personnes… dans un premier temps. Une pluie de milliards lui est promise. Pour que ce refuge promis à durer soit décent, avec constructions en dur, écoles, hôpitaux… et aussi pour convaincre Abdel Fatah El-Sissi, un président déchiré entre son refus viscéral de voir cet afflux palestinien et le souci de ne pas fâcher ses alliés dont il a un besoin absolu pour faire face au gouffre astronomique des finances publiques. Ce projet de nouvel exil pour les Gazaouis verra-t-il le jour? Cela dépendra du calendrier de l’offensive, de ce qui se passera au niveau du pouvoir à Jérusalem et à Washington. Quant aux pays arabes, malgré leurs discours de solidarité, ils feront tout pour éviter que ces Palestiniens, politisés, pour une part «Frères musulmans» honnis dans la région, pas tous sunnites, souvent bien formés et turbulents, ne débarquent pas chez eux.

Et qu’adviendra-t-il des habitants de Cisjordanie? La colonisation juive s’accélère avec son chapelet de violences. Le gouvernement israélien vient d’annoncer 3’500 logements nouveaux pour les colons dans la zone. Et 18’000 autorisations de construire ont été accordées par les ministres ultra-nationalistes, principalement à Maale Adoumim, à côté de Jérusalem. Dans la partie est de la ville les expulsions de non-Juifs, à coups de tracas administratifs ou d’actes violents, se multiplient. Où iront les Palestiniens pourchassés? Nul ne le sait. Personne n’a le moindre plan crédible, une fois tournée la page de la solution à deux Etats que tant de gouvernements brandissent… sans y croire, au vu de l’interpénétration des communautés antagonistes. En attendant un pays tremble particulièrement, la Jordanie. Pourra-t-elle garder longtemps sa frontière fermée à ces si proches voisins en quête d’issue?

L’avenir se joue aussi du côté de l’Iran. Un fait étonnant est en train d’émerger loin des titres d’actualité. Cette puissance est en train de s’entendre secrètement avec sa grande rivale américaine. Un signe a été donné en septembre passé. Washington a rendu 4 milliards de dollars appartenant aux Iraniens et bloqués dans une banque sud-coréenne au nom des sanctions. En échange de la libération de cinq prisonniers américains retenus à Téhéran. En novembre passé, le quotidien koweitien Al Jarida révélait qu’une «réunion secrète a eu lieu à Genève pour chercher les moyens d’éviter un glissement vers une guerre totale» au Moyen-Orient. Selon plusieurs sources libanaises, des contacts ont été noués aussi à Beyrouth où les diplomates américains parlent au Hezbollah, l’antenne iranienne, qui d’ailleurs veille à ne pas se montrer trop agressif contre Israël. Des coups d’épingles mais rien qui donnerait prétexte à un nouvel envahissement du petit pays aux Cèdres, à un élargissement de la guerre qui ne conviendrait guère à Joe Biden et pas davantage, semble-t-il, aux mollahs de Téhéran. Ceux-ci pour leur part entretiennent la tension notamment à travers leur appui aux Houthis du Yémen mais là aussi veillant à ne pas aller trop loin.

Ce dialogue contre-nature a également lieu en Irak, où les Américains restent présents, en contact avec les chiites, d’ailleurs pas tous liés à l’Iran, cela sur un fond politique fort compliqué et inflammable.

Que l’embrasement général de tout le Moyen-Orient paraisse ainsi évité pour le moment est plutôt rassurant. Mais la nouvelle a de quoi inquiéter les Palestiniens. Malgré la reconnaissance de leur cause qui s’étend à travers le monde, malgré les protestations internationales contre le désastre humanitaire à Gaza, malgré les manifestations, les indignations que suscite la tragédie, ce peuple dépossédé, occupé, martyrisé, ne voit plus guère, dans les faits, qui pourra l’aider, demain, à retrouver sa dignité.

Un peuple qui en réalité pourrait se trouver rejeté par tous, violemment par les uns, discrètement par les autres.

Des deux côtés du drame, chez les Israéliens et les Palestiniens, les plaies du passé restent purulentes. Celles du présent, celles encore à venir, le seront aussi longtemps. Nul ne peut esquisser l’avenir. Mais il est sûr que dans les mois et les années qui viennent, les accès violents de fièvre n’en finiront pas.

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