Un musée dans le désert

Publié le 6 septembre 2019
Un taureau fixe le visiteur qui s’avance, il semble comme hésiter avant de charger. Deux puits sombres détonnent dans un camaïeu de bleus – ses yeux, qui glacent le sang. Au-dessus luit une orange, et il crie: le fascisme avance. Quelle surprise que cette rencontre picturale ici, dans un lieu qui existe à peine, quelle surprise que ce musée qui longtemps n’était pas – un musée des peintres interdits.

Vladimir Lysenko (1903-1950s) © DR

Céline Yvon
Auteure active dans la coopération internationale

Nukus: capitale de la République Autonome du Karakalpakstan, Ouzbékistan. Un temps quasi voisine de la Mer d’Aral qui, depuis peu, a foutu le camps, un temps fière de son agriculture cotonnière qui, rapidement, a empoisonné la terre, la ville s’engourdit désormais au milieu du désert. Battue par les vents à un petit millier de kilomètres de Tachkent, écrasée de chaleur l’été et rongée par le gel l’hiver, son isolement lui a jadis valu l’implantation de centres classés secret-défense. Armes chimiques et biologiques, on a probablement tout testé ici. Entre relents biochimiques, sinistrose et ennui, il ne fait pas exactement bon vivre à Nukus, Karakalpakstan. Pourtant, c’est ici que le taureau susnommé a atterri – lui et des dizaines de milliers de témoins picturaux du très turbulent XXe siècle soviétique. La raison à cet étrange tour du destin tient en un homme: Igor Savitsky – explorateur, collectionneur et sacré emmerdeur. Animé d’une extraordinaire passion pour la diversité de nos expressions culturelles, il laissa derrière lui une centaine de milliers d’objets hétéroclites et variés, et surtout, un musée qui comme nul autre ne célèbre la dignité humaine.

© Google
Un brin d'histoire
Nous sommes dans les années 1950 et l’impératif moderniste bat son plein. L’URSS est occupée à construire une société résolument tournée vers l’avenir, tout ce qui rappelle le «féodalisme» passé est dénoncé, oublié, détruit. Rejeton d’une famille aristocratique, archéologue et peintre de formation, Savitsky n’a pas exactement le profil dans l’air du temps. Etouffant à Moscou, il s’enrôle dans une mission archéologique qui lui fait découvrir ce qu’on appelle alors le Turkestan. Là, aux confin...

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