Tréchadèze, haut lieu de la résistance ormonane

Publié le 13 août 2021

Tréchadèze, lieu historique. – © Guy Mettan

Un an après avoir sillonné le Valais par cols et par vaux pendant cinquante-cinq jours, il est temps de reprendre le sac à dos et de partir pour une nouvelle aventure, à travers la Suisse romande cette fois-ci. L’idée est de remonter le röstigraben de Saint-Maurice à Bâle en redescendant à Genève par les crêtes du Jura. Episode 4, où surgit la mémoire d’une bataille de 1798.

Anzeindaz – Solalex – Les Chaux – Taveyanne – Col de La Croix – Tréchadèze – Les Diablerets – 17 juillet 2021


A l’aube, mes exercices physiques aussitôt terminés, je passe aux exercices spirituels. Qu’en est-il de cette histoire de Boëllaire?, demandé-je au gardien du refuge en payant la note. Il en a entendu parler mais reste prudent. Il n’est pas né dans la vallée et ses réponses sont moins catégoriques que celles du garde-forestier. Mais il fouille dans ses papiers et me tend un fascicule écrit par une historienne des lieux. Il en ressort que les dates sont peu sûres (les auteurs hésitent entre le XIVe siècle et 1629), que le curé était en fait un violoneux chargé d’entretenir le moral des troupes avec ses trilles et que les vaches, apeurées par les coups de fusil et le vacarme, se seraient en fait éboëllées elles-mêmes.

Sept siècles pour arriver à un armistice durable

Le livre mentionne au passage qu’on se battait aussi bien entre Bellerins et Gryonnains pour ces arpents d’alpages et qu’il a fallu près de sept siècles pour arriver à un armistice durable entre tous les belligérants! En Valais, naturellement, on cherchera en vain la trace de cette cuisante défaite…

En attendant, sur l’alpage désormais pacifié, les vaches broutent paisiblement en se réchauffant aux rayons d’un soleil encore timide. Il fait frais, les torrents sont encore en crue et les nuages s’accrochent à la Dent d’Anzeindaz et au Miroir d’Argentine.

La marche commence par une tranquille descente à Solalex, dans le pâle soleil matinal, sur un chemin constellé de vaches débonnaires et, tous les kilomètres, de pelles mécaniques préposées à la réparation de la route coupée par les intempéries.

A Solalex, malgré la boue, je décide d’emprunter le chemin du haut pour rejoindre l’Alpe des Chaux. A couvert, ça passe assez bien, mais dans les pâturages, c’est le calvaire. Le sentier labouré par les sabots des vaches est impraticable à la montée et glissant comme une planche à savon à la descente. Les chaussures enfoncent dans une boue gluante et profonde. Il faut marcher sur les bords, ce qui manque de vous faire chuter à chaque pas sur le talus ou dans la gadoue.

Aux Chaux, la télécabine de Barboleuse débarque des cohortes de promeneurs, de vététistes et de curieux qui déambulent en grappes sur le chemin carrossable qui mène à Taveyanne. De là, le col de la Croix n’est plus qu’à une heure de montée. Il est deux heures de l’après-midi et je m’octroie une longue pause au bord d’un ruisseau tranquille.

A quinze heures, je retrouve comme prévu ma logeuse du soir à la buvette du Col. Elle me glisse à l’oreille le code de la porte d’entrée de son merveilleux chalet des Diablerets.

La guerre dans le Haut-Pays

Le sentier qui descend à la station le long du vallon de Culan est assez raide mais agréable. Soudain, un panneau m’intrigue. «Tréchadèze, site de la bataille du 5 mars 1798», indique-t-il. Encore une bataille! J’ignorais qu’on s’était aussi battu au milieu de cette forêt de sapins. 

La guerre opposa les troupes franco-lémaniques (les Vaudois de la plaine s’étaient ralliés aux armées du Consulat) contre les Ormonans soutenus par les troupes fédérales et commandés par des officiers du patriciat bernois et fribourgeois (de Tscharner, de Graffenried et de Diesbach). Les Franco-lémaniques, supérieurs en nombre et mieux armés, assiégèrent le bataillon ormonan soutenu par un escadron bernois. De vains et furieux assauts furent donnés et l’on compta bientôt des dizaines de morts du côté des assaillants. Finalement, épuisés de fatigue, privés de solde et de vivres depuis des jours, à court de munitions et transis par les froidures de mars, les uns et les autres décidèrent de se retirer. Les Ormonans démobilisèrent et rentrèrent dans leurs chalets tandis que les autres se replièrent sur Bex. Quant aux officiers bernois et fribourgeois, qui sentaient monter la fureur de leurs soldats, ils rentrèrent dare-dare chez eux sans demander leur reste.

On convint qu’on ficherait la paix aux habitants de la vallée, qui purent même garder leurs armes et enterrer leurs morts, à condition de promettre de rester tranquille. Depuis lors, plus aucun envahisseur n’a osé troubler la paix des lieux. Valaisans, soldats français, officiers bernois ou bourgeois des plaines vaudoises, tous ont compris qu’il ne fallait pas trop chatouiller l’Ormonan qui dort…

A suivre

Le film de Francis Reusser La guerre dans le Haut-Pays(1999) a été tourné en partie dans la région de Tréchadèze. Il s’agit d’une adaptation du roman éponyme de Charles-Ferdinand Ramuz publié en 1915.

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