Travailleurs flottants: la France s’indigne, la Suisse applaudit

Publié le 21 juin 2017
Si cet été vous visitez une fromagerie dans les alpages, ne vous étonnez pas si le paysan qui vous accueillera ne parle pas un mot de français. Il y a de bonnes chances qu’il soit Polonais. Venu monnayer ses bras pour la saison. Cette main d’œuvre étrangère et temporaire est nombreuse en Suisse, en 2015, il aurait été délivré 82'000 permis de cette catégorie, surtout dans le bâtiment, dans l’agriculture… et dans l’informatique.

Chez nous, pourtant, ce n’est pas un sujet chaud. Certes les syndicats et quelques gouvernements cantonaux mènent un combat permanent afin de multiplier les contrôles et d’assurer à ces hommes et ces femmes des conditions acceptables, des salaires comparables à ceux des indigènes. Car les abus restent innombrables. Le conseiller fédéral Schneider-Amman refuse de durcir la loi à cet égard.

Ces bras flottants qui vont et viennent qui souvent plongent dans d’obscurs jobs et émergent sur les chantiers, ce sont les fameux «travailleurs détachés» qui ont échauffé les débats de la campagne présidentielle en France. Tous les candidats voulaient abolir ou au moins réviser la directive européenne en question. Il est vrai qu’elle date de 1996, bien avant l’entrée des pays ex-communistes dans l’Union. Un sévère toilettage s’impose. Mais la supprimer? Les dits pays ne veulent pas en entendre parler. La Pologne par exemple aurait tôt fait de s’en prendre aux importations et aux investissements de l’ouest européen si la majorité la brusque. Alors que les marchés à l’est profitent à largement à la France comme à l’Allemagne et à d’autres.

Le président Macron a mis le sujet en tête de ses priorités. Avec l’appui de l’Allemagne, il veut mettre fin au «dumping social». Comment convaincra-t-il les partenaires de l’est? Mystère.

Que c’est tentant de cogner une fois de plus sur le fameux plombier polonais. La revendication protectionniste fait mouche. Elle tourne le dos aux faits. Il y aurait outre-Jura 250’000 «détachés», sans compter les clandestins. Ils doivent être payés au salaire minimum, mais les charges sociales sont versées dans leur pays où elles sont moins coûteuses, d’où un coût du travail inférieur. Mais si tant d’entreprises ont recours à eux, ce n’est pas qu’une question économique, ils ont un autre atout: la flexibilité. Ils se déplacent facilement selon les besoins, ils ne comptent pas leurs heures. D’où une exploitation souvent éhontée. Que personne n’évoque là d’où ils viennent.

Et l’UDC, que dit-elle?

Ce que l’on ne dit pas non plus, c’est que le mouvement va dans les deux sens. 125’000 «détachés» français travaillent hors de leurs frontières. Dont un grand nombre en Suisse. Casser le système ferait mal de tous les côtés. Serrer la vis pour le rendre plus équitable serait plus avisé.

Et l’UDC, que dit-elle? Rien! Elle s’en prend aux étrangers qui s’établissent en Suisse, mais elle voit d’un bon œil ces nouveaux saisonniers qui viennent sans famille, pour peu de temps et rentrent chez eux quand ils tombent malades. La base agricole du parti y tient beaucoup. On n’en est plus aux humiliations que subissaient ces travailleurs entre les années 50 et 80. On ne les ausculte plus, des dents aux poumons, comme autrefois. L’administration fédérale précise sur internet les conditions d’engagement. Tous ces travailleurs ne sont pas mal traités. Les vendangeuses haut-savoyardes qui affluent chaque automne depuis toujours mangent à la table des vignerons. Sur les chantiers, les syndicats peuvent exiger des contrôles.

Reste que dans l’ombre et l’indifférence, les bosseurs de l’est ont la vie dure.

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