Quand l’université fait pitié

Face au défi du Covid-19, l’Université de Neuchâtel a entre autres décidé de maintenir les examens de juin, mais de compter les résultats seulement en cas de réussite. Elle l’a annoncé par mail le mardi 31 mars dernier aux «étudiant-e-s» dont je fais partie. Le but? Permettre aux étudiants de valider leurs crédits (ce vocabulaire quantitatif barbare pour parler simplement de leur «formation») en dépit de la situation difficile due aux mesures liées au coronavirus, tout en ne comptant pas les échecs, qui pourraient être dus à une période difficile. Que c’est chou.
La FEN, qui fédère les étudiants neuchâtelois, a annoncé dans un communiqué datant du même jour qu’elle se montrait «satisfaite de constater qu’une partie de [se]s demandes a été prise en compte par le rectorat», estimant cependant que «les inquiétudes des étudiants restent vives quant à l’augmentation de la charge de travail». Oui, vous lisez bien. La fédération dit constater «que la durée des cours augmente parfois» ou que «des enseignants donnent plus de travaux à rédiger». Une situation ayant pour effet d’«induire un fort stress dans le corps estudiantin».
Un jour, on racontera donc qu’à une certaine époque, l’université permettait aux étudiants qui avaient étudié chez eux de se présenter à un examen pour pouvoir tenter leur chance de le réussir, et que s’ils échouaient, elle oubliait tout ça et leur permettait de retenter leur chance quelques mois plus tard comme si c’était la première fois. Après le négationnisme de la grammaire française à coup d’écriture inclusive, voici donc venu le temps du négationnisme du mérite. Mais comme par hasard, les brigades antirévisionnisme semblent aux abonnés absents dans le débat public. Je me lance donc.
Une inégalité qui porte atteinte aux méritants
Cette décision est purement et simplement grotesque. Déjà, qu’on se le dise: à ce niveau-là de formation, le #stayhome est ce qui peut arriver de mieux aux étudiants. Les cours sont maintenus par vidéo, tout le matériel du professeur, son intervention incluse, est mis à disposition des élèves sur internet (alors que d’habitude, non, il faut venir au cours pour entendre sa conférence). Et il y a mieux: en période de confinement, point de sortie en perspective pour un moment, pas ou peu d’apéros, du chômage pour certains… Plus d’excuse pour étudier, autrement dit!
Mais devant la pression des étudiants, l’uni abdique. Comme elle l’a toujours fait ces dernières décennies. Depuis un fameux mois de mai, l’université n’a de cesse de vouloir montrer qu’elle est «du côté des étudiants». Sous couvert d’une telle attitude, elle démontre simplement qu’elle a peur de sa propre autorité, cédant au moindre caprice de jeunes comptables pour des affaires de crédits ou je ne sais quoi. Bon sang de bonsoir, être «du côté des étudiants» ne veut rien dire, du moment qu’il ne devrait y avoir qu’un camp, reliant tous les universitaires, profs ou étudiants: celui du savoir!
Ainsi donc, pendant longtemps l’inégalité a défavorisé les plus faibles, et voilà que maintenant elle défavorise les plus forts. Rire ou pleurer, il faut choisir. En tout cas, en ce qui me concerne, si je réussis mon master cet été, ce sera avec un goût d’amertume, sachant que ceux qui y échoueront pourront retenter leur chance en tant que «première tentative». Mais l’époque n’a pas peur de l’absurdité, heureusement que je suis déjà acquis à ce constat. Elle n’a pas peur non plus du mimétisme: l’Université de Lausanne a annoncé la même décision le lendemain même.
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