Plus ou moins d’Etat pour la période post-coronavirus?

Publié le 5 mai 2020

La gestion de la crise du coronavirus en Europe a montré la relative incapacité des Etats à prendre en charge des tâches régaliennes. L’avis du philosophe Martin Rhonheimer. – Bundeshaus, détail. © Andreas Praefcke CC

Alors même que l’anticipation publique en termes de matériel sanitaire a montré ses défauts, l’étatisme a le vent en poupe en ces temps de crise. Fort de ce constat, la NZZ a publié un papier montrant les arguments que la crise nous donne aussi en faveur du capitalisme et contre le recours à l’Etat.

Les revendications pour un Etat plus fort sont nombreuses et diverses: redistribution plus importante, instauration d’un revenu de base inconditionnel, production indigène… Pourtant, face à cette actualisation de certaines idées de gauche, la droite libérale dispose de plusieurs arguments tout aussi actuels allant dans le sens inverse. C’est le constat que fait le philosophe suisse Martin Rhonheimer dans cet article publié dans la NZZ du 25 avril. Le premier contre-argument à opposer aux partisans du plus d’Etat est selon lui directement offert par la crise:

«Compte tenu du blocage d’une grande partie de l’activité économique productive, il devrait maintenant être clair d’où vient réellement notre prospérité. Les programmes d’aide publique extrêmement coûteux qui sont actuellement lancés ne manifestent pas, après tout, une faiblesse du système capitaliste; au contraire, ils sont la preuve de son énorme potentiel de création de valeur.»

Et le professeur de philosophie et d’éthique de montrer que «nous ne vivons pas une crise économique, mais plutôt un blocage économique ordonné par la loi – c’est-à-dire par les politiciens – pour des raisons de politique de santé.» La présente situation n’a ainsi rien à voir avec celle de 2008. Comme défendu dans un précédent article, il paraît très simpliste de relier directement la crise actuelle avec la mondialisation néocapitaliste. Selon Martin Rhonheimer, les problèmes que nous devons surmonter sont dûs à une culture politique de l’immédiateté, plus rentable électoralement. Le déficit de masques en est l’exemple le plus parlant.

En outre, la gestion du coronavirus en Europe a montré la relative inaptitude des différents Etats à prendre des tâches régaliennes de protection de la population, comme la maîtrise des frontières, ne serait-ce que de l’espace Schengen. La bureaucratie à coup de faxs et de flou dans les chiffres, de négligence et d’erreurs dans le contrôle des stockages, a également montré ses limites. Martin Rhonheimer nous invite donc à voir dans le moment que nous traversons l’occasion de réfléchir à l’amélioration de l’efficacité de l’Etat plutôt qu’à son extension, et surtout de développer l’initiative personnelle en termes de télétravail ou de numérisation.

De tels avis à contre-courant sont à entendre absolument. Non pas parce qu’il sont à contre-courant, mais simplement parce que si la période d’après-crise se traduit par un rétrécissement du débat et donc du champ démocratique, elle pourrait bien être pire que celle d’avant. Une fois de plus, la presse alémanique montre la voie du pluralisme.

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