Merci à Serge Gumy, rédacteur en chef de «La Liberté»

Publié le 16 avril 2021
Une lettre de lecteur publiée dans le quotidien fribourgeois «La Liberté» a créé une grande controverse. Intitulée «Aux jeunes filles en fleurs», elle a été considérée par des lectrices et des lecteurs comme une banalisation de la «culture du viol». Mais finalement, l'auteur de la lettre a-t-il compris pourquoi certaines de ces femmes qu’il semble tant apprécier se sont senties injuriées? La méthode pour s'opposer à ses propos a-t-elle été la bonne?

Il faudrait dire merci à Serge Gumy. Au lieu de cela, on l’insulte, on tague les voitures de son journal et on le force à s’excuser à genoux. Il faudrait lui dire merci parce que grâce à lui et à son journal, La Liberté, on peut savoir ce que pense Paul Clément de Fribourg et tous les autres Paul Clément du monde.

Je suis abonnée à plusieurs lettres d’information qui ne reflètent pas ma vision du monde. Je lis des publications émanant de milieux dont je ne partage pas les opinions. Je lis des livres qui ne me plaisent pas mais dont je sais qu’ils plaisent à d’autres, à beaucoup d’autres. Je lis les lettres de lecteurs et lectrices des journaux d’ici et d’ailleurs parce qu’elles me donnent l’occasion de savoir ce que pensent non seulement les journalistes mais également leur lectorat, mes semblables, mes frères.

Savoir comment pense son voisin

Je considère que connaître l’Autre est la base de toute vie en société. Je veux savoir comment pense mon voisin, mon concitoyen, ne serait-ce que pour mieux le combattre lorsque − parce qu’il ne pense pas comme moi, parce qu’il m’agresse, parce qu’il me fait du tort − il devient mon ennemi.

Merci à Serge Gumy, donc, de nous montrer que parmi nous, des Paul Clément voient «les jeunes filles en fleur» comme de «belles plantes que l’on rencontre au gré de nos promenades», des «nymphettes» aux «genoux faisant des clins d’œil à travers (leurs) jeans percés et rythmés par (leur) démarche chaloupée», confondant allégrement liberté de se vêtir et provocation.

Heureusement qu’il y a des Paul Clément pour penser tout haut, et en plus vouloir vaniteusement rendre sa pensée et sa prose publique! Sans le vouloir, tout fiérot de sa prose printanière guillerette et coquine, les sens en émoi après quelques rayons de soleil, héritier d’une culture de lubricité machiste la plupart du temps inoffensive mais très agaçante, Paul Clément s’est retrouvé exposé d’une manière qu’il n’imaginait pas. Que sa lettre de lecteur mérite ou pas le torrent de haine qu’elle suscite depuis sa publication lundi dans La Liberté, elle nous donne l’occasion d’exprimer à notre tour ce que nous pensons des gambettes des «nymphettes». Savoir ce que pense Paul Clément est utile. Cela nous apprend à réagir, à dire à nos filles de se méfier, et surtout nous permet de réaffirmer ce à quoi nous croyons. Encourageons la liberté de toutes les expressions, même celles qui nous déplaisent, pour mieux affuter les nôtres! Et, peut-être, si possible, convaincre.

Car que voulons-nous? Voulons-nous couper le caquet à tous les Paul Clément du monde? Ne pas les entendre? Ou leur faire changer d’avis? Préférons-nous ne pas savoir que nous ne voyons pas tous et toutes le monde de la même manière ou changer le monde, le faire évoluer dans le sens que nous souhaitons?

Débattre plutôt qu’interdire 

Je suis de la culture du débat. La pédagogie ne passe jamais par l’interdiction, ni par l’intimidation, bien au contraire. Interdisez à un homme ou à une femme d’exprimer une opinion, ou même de la penser en son for intérieur: il ou elle n’en sortira que renforcée dans cette opinion. Quelle erreur que de se priver de savoir ce que pense les gens, tous les gens, même ceux qui pensent mal selon nous! La liberté d’expression permet justement la confrontation des opinions. Si nous ne voulons pas entendre l’Autre, c’est que nous ne supportons pas la différence, fût-elle insupportable. Si nous voulons changer le monde, le rendre meilleur à nos yeux, il faut commencer par l’entendre, le comprendre pour ensuite le critiquer et l’amener, si possible, là où nous voulons. C’est long, cela demande patience, abnégation, humilité et tolérance, même pour l’intolérable. Vivre ensemble, ce n’est pas vivre l’un contre l’autre. Il ne s’agit pas de vaincre mais de convaincre. Paul Clément est symboliquement mort. Il a été ridiculisé, insulté, renié même par son cher journal La Liberté qui a exprimé ses «profonds regrets» pour avoir publié sa lettre − mais est-il convaincu? A-t-il compris pourquoi certaines de ces femmes qu’il semble tant apprécier se sont senties injuriées? Quelqu’un, quelqu’une lui a-t-il, lui a-t-elle parlé? A nous de jouer.

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