Les Suisses ne tirent aucun avantage des coûts élevés de la santé

Publié le 1 août 2025

Marcher davantage permet de rester en bonne santé et prolonge la vie. – © maridav/Depositphotos

Les primes d'assurance maladie devraient à nouveau augmenter de 4 % en 2026. Or il n’existe aucune corrélation entre les coûts de la santé et la santé réelle d’une population, ni avec son espérance de vie. La preuve? En Grande-Bretagne, le nombre de décès liés au cancer est inférieur à celui de la Suisse malgré des dépenses deux fois moins élevées.

Article publié sur Infosperber le 29.07.2025, traduit et adapté par Bon pour la tête


Les coûts des hôpitaux, des cabinets médicaux et des médicaments ne cessent d’augmenter en Suisse, tout comme les primes. Or il ne s’agit plus depuis longtemps d’améliorer l’état de santé de la population ou d’allonger l’espérance de vie.

D’ailleurs, les pays nordiques et la Grande-Bretagne atteignent ces objectifs avec des dépenses de santé nettement inférieures: environ 50 % de moins que la Suisse et l’Allemagne pour le Royaume-Uni et 30 % de moins au Danemark, par exemple. Et ceci même après ajustement des chiffres en fonction du pouvoir d’achat.

Tableau Dépenses de santé par habitant (en dollars américains à parité de pouvoir d’achat)

Mais en Suisse, le lobby de l’industrie de la santé n’apprécie pas la comparaison avec le système de santé public britannique, immanquablement dépeint sous un jour défavorable et pointé du doigt en raison des longs délais d’attente qui y règnent.

Ainsi, le 26 juillet, la NZZ a rapporté plusieurs «histoires effrayantes issues du système de santé britannique»: les délais d’attente pour une opération y seraient de neuf mois et un tiers des patients atteints d’un cancer devraient attendre plus de deux mois après le diagnostic avant de pouvoir commencer un traitement. La NZZ admet tout de même que «dans le cas de maladies mortelles, on peut avoir accès à des prestations médicales dans un délai raisonnable». Le correspondant à Londres Niklaus Nuspliger concède même que «tout n’est pas pire qu’en Suisse».

Cancers et crises cardiaques: les bons résultats du Royaume-Uni

Longs délais ou pas, ce qui est déterminant pour un système et une politique de santé, ce sont les résultats concrets pour la population. Et sur ce plan, le Royaume-Uni s’en sort plutôt bien, même avec la moitié du budget de notre pays ou de l’Allemagne. A titre d’exemple, prenons les cancers et les crises cardiaques qui sont aujourd’hui les deux causes de décès les plus fréquentes:

Le nombre de décès liés au cancer est moins élevé en Grande-Bretagne qu’en Suisse et en Allemagne. Selon les estimations actuelles, le taux de mortalité annuel ajusté en fonction de l’âge au Royaume-Uni est d’environ 101 pour 100 000 habitants chez les hommes (contre environ 140 en Suisse et 121 en Allemagne) et d’environ 82 chez les femmes (contre 96 en Suisse et 79 en Allemagne).

Le nombre de décès par crise cardiaque est également moins élevé en Grande-Bretagne: environ 90 pour 100 000 habitants contre 115 par an en Allemagne. En Suisse, ce chiffre est d’environ 86.

Autrement dit, il n’y a pas de corrélation entre les coûts et la santé publique. D’ailleurs, aux États-Unis, où les coûts de la santé sont encore deux fois plus élevés qu’en Suisse et en Allemagne, l’espérance de vie, elle, y est inférieure.

Comparaison de l’espérance de vie à la naissance en années

Pays                                    Total                   Hommes         Femmes

Etats-Unis                         79,4                     77,2                     82,1

Allemagne                         81,2                     78,9                     83,5

Grande-Bretagne             82                         81,6                     83,5

Suisse                                 84,5                     82,3                     86,1

En ce qui concerne l’espérance de vie à partir de l’âge de 60 ans, le Royaume-Uni devance la Suisse (24,6) et l’Allemagne (20) avec près de 25 ans, après ajustement en fonction de l’âge.

Ainsi, ce ne sont pas les dépenses de santé qui sont déterminantes pour l’espérance de vie, mais d’autres facteurs: par exemple, c’est aux Etats-Unis que l’on trouve le plus grand nombre de personnes en surpoids. Viennent ensuite la Grande-Bretagne, tandis que la Suisse affiche le taux le plus bas chez les adultes. L’Allemagne se situe entre les deux.

Proportion d’adultes obèses (IMC ≥30)

Pays                                    En pourcentage (arrondi)

Etats-Unis                         41

Grande-Bretagne            27

Allemagne                        23,5

Suisse                                 12,5

Par ailleurs, les habitants du Japon, de Corée du Sud, d’Australie, d’Espagne ou d’Italie atteignent en moyenne un âge similaire bien qu’ils dépensent nettement moins d’argent pour les médecins, les hôpitaux ou les médicaments.

Facteurs déterminants pour l’espérance de vie

En réalité, les Suisses ne doivent pas leur bonne santé et leur longue espérance de vie aux coûts et aux primes élevés mais au fait, entre autres, que le pourcentage de personnes économiquement défavorisées est inférieur à celui d’autres pays. En effet, dans les pays industrialisés, les 10 % de la population les plus défavorisés sur le plan social et économique ont une espérance de vie inférieure d’environ dix ans à celle des plus favorisés. Le pourcentage de personnes effectuant des travaux physiquement pénibles est également inférieur en Suisse comparé à celui d’autres pays, de même que le pourcentage de personnes physiquement inactives ou en surpoids.

C’est donc bien la politique de santé publique qui vise à améliorer l’état de santé général de la population et à augmenter l’espérance de vie moyenne. Et il n’est pas nécessaire, pour cela, d’investir des milliards supplémentaires dans les hôpitaux et les médicaments, mais plutôt dans des mesures incitant à l’activité physique, à la lutte contre le tabagisme, la consommation excessive d’alcool, les particules fines et autres polluants atmosphériques, ainsi qu’à la prévention de la pauvreté.

Réduire les coûts hospitaliers et pharmaceutiques

Au lieu d’accepter comme inévitable la hausse effrénée des coûts et des primes, les politiciens feraient bien de se libérer du carcan des lobbies des prestataires. Car il est injustifiable que nos caisses-maladie doivent dépenser plus d’argent pour les médicaments que celles des autres pays européens. En incluant les médicaments hospitaliers, ceux-ci représentent en effet en Suisse un quart de toutes les primes. De même, il n’est pas justifiable que la Suisse détienne le record du nombre de lits d’hôpitaux ni que ses habitants soient opérés plus souvent et restent plus longtemps à l’hôpital que pratiquement partout ailleurs en Europe.

En tant que propriétaires, exploitants et régulateurs de grands hôpitaux, les gouvernements cantonaux sont partiaux. Dans une tribune publiée le 30 juin dans la NZZ, Lukas Engelberger, président des directeurs cantonaux de la santé, a défendu la politique hospitalière des cantons en s’opposant à une planification hospitalière à l’échelle nationale et niant la «prétendue offre excédentaire».

La Suisse possède pourtant un tiers de plus de lits d’hôpital par habitant que les Pays-Bas et 60 % de plus que le Danemark ou la Suède, avec en conséquence des traitements plus nombreux et plus longs. Et ceci sans que les Suisses en tirent un quelconque avantage en matière de santé. Ces différences sont restées les mêmes pendant la pandémie de Covid-19 malgré l’augmentation du nombre de lits. Néanmoins, le nombre de décès dus au Covid par habitant n’a pas été plus élevé dans ces pays.

Le président des directeurs cantonaux de la santé estime toutefois qu’il n’existe aucune base permettant de prendre ces pays comme référence du fait que nous ne connaissons pas leur façon d’évaluer les besoins. Par ailleurs «une centralisation comme celle qui existe au Danemark n’est pas compatible avec notre structure fédéraliste», explique-t-il, même s’il comprend la demande visant à ce que les cantons collaborent plus étroitement dans le domaine de la planification hospitalière.

Quant aux possibilités d’économie dans les hôpitaux, Lukas Engelberger mise sur le transfert des prestations stationnaires vers les prestations ambulatoires, lequel devrait s’accélérer avec la nouvelle structure tarifaire ambulatoire et l’introduction du financement uniforme.


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