Le Suisse qui ausculte le monde… depuis Kaboul

Publié le 10 septembre 2021
Le visage de Franz J. Marty est devenu soudain familier des télévisions germanophones et anglophones. Ce journaliste suisse est resté à Kaboul après la victoire des talibans et continue de communiquer à travers internet et donne d’impeccables interviews en vidéo. Ce connaisseur de l’Afghanistan − il y est établi depuis 2014 − n’est pas un correspondant comme les autres. Il est l’un des jeunes chercheurs qui ont créé le «Swiss Institute for Global Affairs (SIGA)», une plateforme consacrée à la géopolitique.

Le personnage est impressionnant, avec sa grosse barbe noire et son calme absolu. Il a déclaré à la TV allemande Das Erste pouvoir continuer son travail «pour le moment» sans encombres. Les talibans ont fait savoir que les journalistes peuvent travailler librement. A condition, ont-ils précisé, qu’ils le fassent avec objectivité, ne relatant pas seulement les situations dramatiques mais aussi le lent retour à la vie normale. Mais le cadre précis de cet exercice n’a pas encore été communiqué. Marty reste en contact avec ses informateurs, des ex-officiers de l’armée en déroute, des politiciens de divers bords, et son réseau d’amis et amies. Il explique que des actes de vengeance ont été relevés mais que ceux-ci ne se sont pas généralisés. Des ex-militaires lui ont dit avoir été bien traités par les vainqueurs. Quant aux femmes, bien qu’autorisées à se rendre au travail, à l’école et à l’université, on en voit fort peu dans les rues. La peur subsiste dans l’attente des prochaines décisions d’un gouvernement et d’un programme qui reste à s’affirmer.

«Sismographe de la géopolitique»

Cet observateur averti ne se laisse aller à aucun emballement médiatique et se garde de prévoir ce qui va se passer. Il faut dire que son expérience est grande. Avant de crapahuter dans les contrées les plus agitées de l’Afghanistan, il a sillonné l’Asie centrale, l’Iran, la Jordanie, l’Egypte et la Russie. Avec une attention particulière sur les enjeux internationaux et militaires. La NZZ le qualifie de «sismographe de la géopolitique». Une approche qu’il développe avec ses amis fondateurs du Swiss Institute for Global Affairs. Les animateurs de ce lieu de réflexion, Remo Reginold et Urs Vögeli, cités par le journal zurichois, résument ainsi leur démarche: «C’est une perspective sociale et anthropologique qui aide à déconstruire les grands narratifs des puissances au pouvoir.» Comprendre en profondeur ce qui se passe dans le monde et concerne la Suisse. Dans un langage très académique, le site globalaffairs.ch explique sa méthode basée sur des réseaux de compétences, hors des catégories et limites habituelles. En bref, sortir des discours fabriqués par les porte-parole de tous bords, percevoir les réalités du terrain et dessiner en profondeur les relations de pouvoir et leur évolution. Un exemple? Il est souvent dit que la Chine est la grande gagnante en Afghanistan. Or les Chinois se méfient profondément des talibans, même s’ils sont prêts à commercer avec eux. Et les Afghans, traditionnellement, sont fort réticents face à leur puissant voisin. Ceux-ci, avec leurs propres divisions, se trouvent plus que jamais à une charnière mouvante de l’Asie. Le regard et le savoir de Franz J. Marty sont fort précieux pour qui, songeant à cela, ne se contentent pas des gros titres.

Une vaste palette d’outils d’information

Ces chercheurs hors-cadre offrent sur leur site une vaste palette d’outils, textes longs et courts, cartes, vidéos, invitations à des rencontres. L’exploration porte aussi bien sur le langage des officiels que sur celui des réseaux sociaux. Le choix des mots et leur arrière-plan en dit tant sur le cours des événements.

L’équipe de base peut compter sur plusieurs spécialistes qui apportent leurs contributions occasionnelles. Un team de connaisseurs des Balkans, établis à Belgrade, Pristina et Skopje s’est associé à l’entreprise. A lire aussi!

Une découverte, cet «institut» hors normes. Car l’intelligence géopolitique portée à ce point de raffinement n’est pas courante. Elle est d’autant plus remarquable qu’elle n’est pas issue du système académique, choyé par les pouvoirs publics mais emmuré dans ses disciplines. Tous les animateurs du site gagnent leur vie dans divers autres emplois. Ils assument eux-mêmes les coûts de l’opération, en totale indépendance. Chapeau.

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