Le refus du risque, signe de déclin

Publié le 9 mars 2020
Des pannes, des crises économiques, on en a connu de toutes sortes dans tous les systèmes. Elles survenaient devant des pouvoirs éberlués, pris de court. Cette fois, avec le Coronavirus, c’est différent: le trou d’air est décrété en toute connaissance de cause par les gouvernements eux-mêmes. Que dit de nous ce refus frénétique du risque?

Tenter de réduire les menaces diverses qui nous guettent, c’est la sagesse. S’emballer au mépris des conséquences comme nous le faisons, c’est déraper dans une excitation émotionnelle aberrante. Renoncer aux voyages, aux rencontres, aux fêtes, mettre toute l’activité économique en veilleuse, cela en raison d’une grippe, certes méchante mais infiniment moins meurtrière que d’autres maladies qui rôdent autour de la planète, c’est révéler une peur hors de proportions. Une panique qui reflète le désarroi de nos sociétés développées.

D’autres craignent moins le risque et l’acceptent même de façon insensée: les migrants qui fuient des horizons bouchés sont prêts à tout pour se projeter dans un avenir meilleur. Leur énergie, quoi qu’on pense du phénomène, contraste cruellement avec notre monde plus confortable où l’on perd les pédales parce qu’un gros rhume inconnu nous menace et parfois accélère la fin de vieilles personnes à qui l’on n’a pas promis l’immortalité.

Que l’on songe à l’audace d’autres époques. Au culot et au courage de ces Suisses qui, eux aussi fuyant la misère ou l’ennui, émigraient en masse vers des continents peu connus… Au stoïcisme de tous ceux qui luttèrent au péril de leur vie contre le nazisme. Aux résistants de toutes sortes devant les tyrannies. Certes le déni du risque peut aussi mener à d’insensées aventures. Tous ces soldats partis en guerre la fleur au fusil qui ont tué et se sont fait tuer par millions partaient avec de folles illusions. L’attitude inverse, la fixation sur les hypothèses du pire, a aussi ses fâcheux effets: les psychoses, les replis, les fuites. Le déclin d’une société.

Pensons à toutes celles et ceux qui, au contraire, aujourd’hui comme hier, se mettent en danger, sortent du moins de leur confort, se moquent des assurances, se lancent malgré de sérieux pièges, pour créer une entreprise ou une œuvre d’art, un projet fou. Ces forces vives ne surgissent pas d’un univers mental aseptisé à force de précautions hygiénistes.

Faut-il interdire le pavot, l’amour et le droit de respirer? demandait l’an passé l’écrivaine prémonitoire Paulina Dalmeyer qu’hérisse le principe de précaution poussé à l’extrême. Ces jours, elle n’a probablement pas acheté un masque. Comme la plupart d’entre nous, peut-on espérer.

Refusons les oukases de la trouille. Celle-ci nous paralyse avant de nous empoisonner. En cassant nos élans, elle prépare notre déclin. D’autant plus qu’elle vient s’ajouter à tant d’autres alarmes, brassées en boucle dans les potées de la bonne conscience et de la morale, dans les tréfonds de la collapsologie. Hé! Ho! On se reprend? A quand une interpellation à contre-courant au Parlement fédéral? A quand l’affichage d’opinions qui tranchent avec les pages et les pages unanimes des journaux? A quand la prise de parole des médecins – il y en a! – qui relativisent la gravité de la maladie et refusent l’affolement?

Il y a quelque chose de pathétique dans la panique qui s’empare du gouvernement de la pauvre Italie. Un tiers du pays mis en quarantaine. La maladie y est certes plus répandue qu’ailleurs. Mais le nombre de morts, rapporté à celui de tous les décès dus à d’autres causes, reste marginal. Quant au décompte des «cas», comment le croire? Il dépend du nombre des contrôles. Des milliers de grippés bénins portent peut-être le virus sans le savoir. Et ils s’en sortiront vite. Brandir la menace d’une hécatombe est une insulte à l’intelligence.

Quant aux autorités suisses, puissent-elles mesurer le poids des mots. Lorsque l’Office fédéral de la santé parle d’une progression du virus «fulgurante» («rasant»), sans points de comparaison, il agite l’opinion plus qu’il ne l’informe. Entre deux et trois cents cas dans tout le pays, donc seulement quelques dizaines de malades nécessitant des soins, et il faut en appeler à l’armée pour faire face?

Quand le Conseil fédéral incite fermement les plus de 65 ans à éviter les trains bondés et les supermarchés, il insulte leur capacité de jugement. Va-t-on leur interdire d’aller au cinéma et aux théâtres restés ouverts? Suggestion: comme il ne font pas tous leur âge, on pourrait, pour leur bien, leur coller une étoile de couleur à définir afin que les autres prennent leurs distances. On l’offrirait aussi aux malades chroniques des poumons, aux immunodéficients et aux hypocondriaques.

Permettez à un vieux de se rebeller, de refuser cette discrimination arbitraire. Le nouveau film de James Bond – dont la sortie est repoussée en raison de l’épidémie! – dit juste: «Mourir peut attendre». Mais comme le rappelle un livre plus sérieux: «on ne connaît ni le jour ni l’heure».


Lire aussi:

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La puissante lettre d’un directeur de lycée milanais à ses élèves

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