Le bio, responsable de la crise alimentaire?

Publié le 13 mai 2022

Un champ de blé dans l’oblast de Lviv, en Ukraine. Le pays, grand producteur de céréales, nourrit 400 millions de personnes. – © Raimond Spekking / CC BY-SA 4.0

L'interview d'Erik Fyrwald dans la dernière édition de la «NZZ am Sonntag» a fait des vagues. Les rendements de l'agriculture biologique pourraient être jusqu'à 50% inférieurs selon les produits, a déclaré le manager américain de 62 ans de l’entreprise bâloise Syngenta. «La conséquence indirecte est que des gens meurent de faim en Afrique parce que nous mangeons de plus en plus de produits bio», a-t-il poursuivi.

«L’Ukraine nourrit 400 millions de personnes. Le Programme alimentaire mondial de l’ONU couvre les besoins de 125 millions de personnes, la moitié des céréales proviennent d’Ukraine. Cette source est désormais supprimée», a déclaré Fyrwald. Et de développer une thèse pour le moins cynique: ce n’est pas la guerre d’agression de Poutine contre l’Ukraine et les pertes de récoltes qui en découlent qui sont à l’origine d’une future crise alimentaire, mais… les consommateurs de légumes bio.

C’est un fait: les PDG et les lobbyistes de l’industrie agro-alimentaire, des pesticides et des engrais instrumentalisent la guerre de Poutine et utilisent la souffrance qui en résulte comme une opportunité d’augmenter leurs profits. Détail piquant, Syngenta a été racheté par les Chinois en 2016 pour 43 milliards de dollars.

En mars 2021, la Commission européenne a lancé un plan d’action pour la production biologique dans l’UE. Ce plan vise à stimuler la demande et garantir la confiance des consommateurs, à encourager la conversion et renforcer l’ensemble de la chaîne de valeur. On lit sur sa page internet: «L’agriculture biologique est une méthode visant à produire des denrées alimentaires au moyen de substances et de procédés naturels. En d’autres termes, l’agriculture biologique a généralement un impact limité sur l’environnement car elle encourage l’exploitation responsable de l’énergie et des ressources naturelles, la préservation de la biodiversité, la préservation des équilibres écologiques régionaux, l’amélioration de la fertilité des sols et le maintien de la qualité de l’eau.»

Le pauvre Erik Fyrwald n’a probablement jamais mis les pieds dans une ferme bio, et encore moins participé à une exposition bio. Ces déclarations montrent qu’il ne s’intéresse qu’à ses propres affaires. Il aurait dû venir à Moudon le week-end dernier. C’est en effet là que se tenait une nouvelle édition de l’exposition BioAgri-BioVino, l’exposition bio suisse. Plus de 120 stands, un marché aux producteurs et aux plantons, des animaux, des plantes, de l’information sur les thèmes de l’agriculture bio, des produits biologiques régionaux et des ateliers d’artisanat. Des conférences, des films et des expositions ont été consacrés aux méthodes traditionnelles et modernes qui font de l’agriculture biologique le système agricole le plus durable qui soit. Les personnes qui ont participé à cet événement sont des gens solides, vigoureux, pleins d’innovation, qui plaident pour une alimentation plus saine et équilibrée, sans craindre le travail. Une contribution à la santé publique.

Le paysan bio bernois et président de l’association des petits paysans, Kilian Baumann, a qualifié l’argumentation de Syngenta de grotesque. Ce n’est pas l’agriculture biologique, mais la demande en viande qui favorise la consommation de terres, a-t-il tweeté.

En Suisse, les aliments pour animaux sont cultivés sur 43% de la surface agricole, et 1,2 million de tonnes d’aliments pour animaux sont importés. Bio Suisse situe les problèmes de sécurité alimentaire dans le manque de pouvoir d’achat, dans le gaspillage alimentaire, dans la production d’agrocarburants sur les parcelles dédiées aux denrées et dans l’alimentation des animaux avec du maïs, des céréales ou du soja.

Comme toujours, c’est aux consommateurs, en bout de chaîne, de faire leur choix. C’est à eux qui revient la décision de contribuer à la réduction du gaspillage, et peut-être de songer à réduire leur consommation de produits animaux… 


Lire l’interview originale.

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