Le bal des faux-culs (suite, hélas sans fin)

Publié le 12 mars 2020

Le fameux « slow » Assad-Poutine. Moscou, novembre 2017. – © Kremlin

En somme, toute cette affaire de réfugiés, Turquie, Grèce, Union Européenne, etc. est très simple: c’est «je t’aime, moi non plus», version géopolitique. Pour vous y retrouver, suivez le guide!

Commençons par la présentation des danseurs du club «dictateurs», composé de MM. Erdogan (Turquie), Poutine (Russie), Assad (Syrie) et Ali Khamein (Iran). Et désolé si la parité hommes-femmes n’est pas respectée.

Viennent ensuite les danseurs du club «démocratie, ma non tropo», dans lequel on retrouve MM. Orbán (Hongrie), Kurz (Autriche), Morawieck (Pologne), Mitsotakis (Grèce), Babis (Tchequie), Conte (Italie) et Matovič (Slovaquie). Encore, désolé pour le manque de femmes…

Enfin, le club des danseurs «autruche» dans lequel nous retrouvons Ursula von der Leyen (présidente de la Commission Européenne) et une ribambelle de dirigeants européens comprenant notamment Angela Merkel (Allemagne), Emmanuel Macron (France) et Pedro Sanchez (Espagne).

Qui fait quoi à qui?

Là, on va faire bref, histoire d’avoir le temps de réfléchir à la suite.

En 2012, début de la guerre civile en Syrie. Une opposition islamiste, soutenue par la Turquie, refuse dorénavant de danser avec le président syrien Assad, soutenu de son côté par la Russie et l’Iran. Tous pour des raisons désintéressées, évidemment. Grâce à l’armée russe, M. Assad a pu reconquérir l’essentiel du territoire syrien, sans nombre de ses habitants toutefois, morts ou en fuite.

Comme dans Astérix, il y a une ville, une seule (Idlib, près de la frontière turque) qui refuse de se rendre et reste aux mains des rebelles islamistes. Malgré des accords datant de 2018, Syriens et Russes ont décidé de reprendre la ville de force, considérant qu’en accueillant généreusement les djihadistes qui fuyaient les autres provinces syriennes, M. Erdogan n’a pas respecté ses engagements. 

Si M. Erdogan a un peu la trouille de M. Poutine (on le comprend…), les Mme von der Leyen et dirigeants des pays membres de l’UE, il se les fait au petit-déjeuner. C’est en effet du gâteau, puisque, pour être un peu vulgaire, les membres de l’UE font dans leur froc à l’idée de voir leurs beaux pays envahis par des hordes de Syriens, Afghans, Congolais, Bengali, Pakistanais et autres Iraniens, pour le moment, parqués en Turquie. D’ailleurs, comme ils ont déjà basté à coup de milliards il y a quelques années, pourquoi ne pas remettre la compresse?

Donc, petit chantage dudit Erdogan (qui n’a aucune raison de ne pas s’en prendre aux plus faibles…): soit vous me soutenez contre Poutine et Assad, soit je vous balance 2-3 millions de réfugiés. Et pour rendre sa menace crédible, notre sympathique islamiste a affrété quelques centaines de bus pour transporter des réfugiés jusqu’aux frontières grecques et leur annoncer qu’ils étaient libres de partir.

Mis au ban du  club «dictateurs», M. Erdogan a donc proposé un rock endiablé aux membres du club «autruche», au grand dam des danseurs de «démocratie ma non tropo», qui trouvent que Mme von der Leyen et ses collègues dansent comme des pieds.


Lire aussi: Le grand bal des faux-culs, première partie – reportage à Lesbos


Je vous laisse deviner la joie des habitants de la petite ville grecque de Kastanies (à la frontière turque) en voyant quelques 15.000 personnes, dont pas mal de barbus, se présenter au poste frontière pour entrer en Grèce. C’est le box. Les danseurs de «démocratie ma non tropo» exigent le bouclement hermétique des frontières avec murs, barbelés, armée et tanks, alors que ceux de «autruche» louvoient, hésitent, s’interrogent, se réunissent et se questionnent.

Que va-t-il se passer? Comment l’Europe va-t-elle s’en sortir? Que deviendront ces millions de réfugiés?

Expert en rien, je suis particulièrement bien placé pour évoquer quelques scenarii possibles et y mettre mon grain de sel, soit le pourcentage de risque/chance que j’accorde à chacun d’entre eux.

On paye. Comme au niveau UE, quasiment rien n’a été fait ces dernières années pour se préparer à l’inévitable (car ce qui arrive était prévisible), on sort le chéquier. 2-3 milliards pour M. Erdogan, s’il veut bien garder ses réfugiés chez lui. Plus quelques centaines de millions à la Grèce pour l’aider à s’occuper des réfugiés qu’elle accueille déjà, lui prêter quelques navires garde-côtes plus quelques millions pour organiser des conférences, colloques et débats en espérant que tout va se calmer et que les réfugiés syriens actuellement en Turquie, Jordanie et Liban essentiellement, puissent bientôt retourner chez eux. 

Quant aux islamistes ayant fui Idlib, on leur suggère de demander l’asile en Iran, au Qatar ou dans un autre pays arabe et, mieux encore, on leur donne deux-trois sous pour qu’ils restent en Turquie où il fait bon vivre. Probabilité: 70 %

On ouvre un petit peu. Allez, un beau geste! L’UE accepte d’accueillir 2-3.000 enfants réfugiés, que l’on répartit une pincée par ici, un chouïa par là pour montrer au vilain Erdogan qu’on fait un effort. Puis, petite négociation au cours de laquelle on offre de l’argent à la Turquie tout en proposant aux Grecs de les soulager en accueillant – ailleurs en Europe – quelques milliers de réfugiés actuellement parqués dans les divers camps en Grèce. En choisissant évidemment ceux qui sont «propre en ordre», donc un minimum d’Afghans et de Congolais… Probabilité: 80 %

On ouvre beaucoup. La Grèce décide unilatéralement que tous les réfugiés et migrants se trouvant actuellement dans le pays sont libres de partir. Hurlements chez les «démocratie ma non tropo», que l’UE force toutefois à adopter le plan de relocalisation de 2016 assignant un contingent obligatoire de réfugiés à chaque Etat membre, arguant qu’absorber quelques centaines de milliers de réfugiés chaque année ne devrait pas poser problème. Et que bon, quoi, on ne peut pas laisser la Grèce porter le fardeau toute seule. Probabilité: 30 % 

On claque la porte et on boucle les frontières. Profitant du coronamachin, on fait «cric, crac, j’suis chez moi» et on envoie la troupe aux frontières sensibles. Comme on ne fait pas d’omelette, etc. il y aura sans doute quelques morts. MM. Ziegler, Mélenchon, etc. s’indigneront; d’autres applaudiront, ravis que l’on sauvegarde ainsi notre bel Occident chrétien face à ces hordes de barbares. Nous aurons tous un peu honte, on rappellera les droits de l’Homme, tout en étant soulagés que quelqu’un d’autre ait fait le sale boulot. Probabilité: 50 %

On se fait envahir. C’est l’hécatombe. La Turquie garde ses frontières ouvertes, encourage les réfugiés à partir pour Lesbos, Samos, Chios et le long des frontières terrestres vers la Grèce et la Bulgarie. M. Erdogan affrète aussi quelques bateaux de croisière – vides pour cause de coronatrukchose – qui déposent les réfugiés le long de la côte Ouest de la Mer Noire, en Bulgarie et Roumanie. Chaque jour, ils sont plus nombreux. 50’000, puis 100’000, puis 300’000, 1 million! Les réfugiés font sauter les barrières, il y a plusieurs centaines de morts et de blessés, mais des dizaines de milliers arrivent à traverser la frontière et, espace Schengen aidant, se retrouvent un peu partout en Europe. Probabilité: 40 % 

Quels que soient le/s scenarii retenus, nous n’allons pas être à la fête ces prochains mois et années. Si le nombre de réfugiés n’augmentera probablement que faiblement (en fonction des conflits), celui des migrants cherchant une meilleure vie ailleurs que chez eux va continuer à croître et les frontières de l’Europe ne pourront pas rester imperméables à tout jamais.

Les politiciens d’Europe devraient s’atteler au problème de toute urgence. Mais pour cela, il faudrait qu’ils deviennent des hommes et des femmes d’Etat et qu’ils cessent de penser en priorité à ce qu’ils doivent dire et faire pour être réélus. 

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