La tragédie que la France veut oublier

Publié le 28 janvier 2020
On croit connaître l’histoire de la Libération. Le débarquement, la résistance font partie du grand récit national. Une autre réalité y apparaît beaucoup moins: les terribles bombardements alliés sur plusieurs villes françaises. Les plus lourds ont totalement détruit deux d’entre elles: Le Havre et Royan. Une chaîne TV (toutelhistoire.com) leur rend enfin justice avec deux films saisissants. Avec des témoignages de survivants. Avec la description de l’obstination allemande et du cynisme britannique.

Le 3 septembre 1944, le 1er corps d’armée britannique encerclait Le Havre, place forte-clé pour les Allemands. Le commandant de la Wehrmacht refusa une proposition de laisser sortir les civils avant l’assaut. Puis devant l’imminence de l’attaque, il demanda deux jours pour évacuer la population. Mais le lieutenant-général Crocker refusa. «Ce fut une décision difficile…» écrivit-il à sa femme. Dès le 5, une pluie de bombes s’abattit sur le centre-ville. Alors que les troupes allemandes se trouvaient dans la périphérie. Pour les civils, ce fut un massacre. Mais aucun soldat ennemi n’avait été touché.  Les jours suivants, les bombardiers britanniques et américains écrasèrent les positions allemandes. En tout plus de 10 000 tonnes de charges incendiaires avaient été déversées. Les survivants de la garnison (11 000 hommes) se rendirent. Bilan: 2000 morts parmi les habitants du Havre. Les rescapés n’ont pas oublié, ils sont un peu amers au regard des erreurs commises et de l’oubli dans lequel cet épisode est tombé. Et pour cause: nombre de documents liés à ces événements sont longtemps restés «secrets défense». Ils racontent la tragédie devant la caméra avec une simplicité, une sincérité touchantes. Le ton désinvolte de Crocker dans les lettres à sa femme, récemment publiées, doit les faire frissonner. Inutile de dire qu’il fallut des années pour réintégrer les survivants et ceux qui avaient réussi à fuir, leurs maisons étaient détruites, la reconstruction fut lente.

Les ruines du Havre à l'hiver 1944-1945. © Rue des Archives.
Le même cinéaste, Emmanuel Amara, a aussi décortiqué et montré un autre drame: la prise de Royan, point d’appui des Allemands sur l’Atlantique. Sous le titre: «La malédiction de la libération». Cette ville avait une importance géostratégique pour les A...

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