La main invisible, la dette et la violence

Publié le 16 juin 2023
Le 300ème anniversaire du baptême de Adam Smith, fêté début juin, et le récent accord trouvé sur la dette américaine fournissent l’occasion d'interroger les récits sous-jacents à notre pratique économique. Ces récits contribuent à faire oublier la violence nécessaire pour maintenir le fonctionnement actuel de l’économie mondiale. La nature politique de ces récits empêche d’imaginer des alternatives.

Des récits mythologiques
Il est difficile de croire qu’à notre époque un large pan des économistes se contentent de fonder leur discipline en s’appuyant sur des mythes. C’est pourtant ce qu’ont mis en évidence des travaux d’anthropologues. David Graeber, par exemple, pointe l’absence de tout fondement scientifique au récit standard qui voudrait que la monnaie est apparue pour améliorer une économie basée sur le troc (voir son important ouvrage Dette: 5000 ans d’histoire). De manière analogue, l’attribution au moraliste écossais Adam Smith de la conception que l’économie aurait priorité sur le politique, est tout autant dénuée de fondement. S’il est vrai que Smith a imaginé que les acteurs économiques puissent opérer en ne suivant que leurs propres intérêts, car une main invisible serait intervenue pour défendre l’intérêt général, il n’aurait par exemple pas poussé son idée jusqu’à défendre l’esclavagisme ou l’accumulation exagérée de richesses dans peu de mains. On voit alors que de tels récits mythologiques servent des intérêts politiques.
La place centrale de la dette
Dans notre système économique la croissance est fondamentale, et le fait qu’il soit possible d’emprunter des sommes d’argent à la seule condition de les rendre avec des intérêts, en est un mécanisme crucial. On peut se demander pourquoi tant de personnes se privent de leur liberté en s’endettant, mais il est encore plus mystérieux que les Etats eux-mêmes s’endettent. Le fonctionnement actuel de l’économie explique en partie ces comportements, justement parce qu’il faut qu’il y ait croissance. Mais les Etats empruntent aussi pour étendre leur domination. Ainsi, pour financer les missions des conquistadors, les têtes couronnées européennes empruntaient à des banquiers. Ces derniers ont d’ailleurs été les s...

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