La folle fuite en avant de Netanyahu

Qu’est-ce donc qui a poussé le chef du gouvernement israélien à bousculer la fin du processus prévu qui devait aboutir à la libération des otages? Trump, lien oblige, lui a donné le feu vert. Il se dit pourtant qu’il a suscité la fureur, ayant demandé la rencontre d’un envoyé spécial auprès des dirigeants du Hamas à l’étranger, ayant même dit que la discussion s’était bien passée.
A cela s’ajoute un autre sujet d’irritation, peu évoqué. L’administration américaine déclasse des documents longtemps tenus secrets sur l’assassinat de JF Kennedy en 1963. Lorsqu’entre Israël et les USA, la tension était grande. Le jeune président s’opposait à ce que son allié du Moyen-Orient se dote de la bombe nucléaire. Un terrible soupçon s’alourdit. Le Mossad aurait pu monter le crime et éliminer son auteur qui appartenait à la mafia juive américaine. Toutes les autres hypothèses ont été écartées. Aucune preuve de culpabilité, mais on commence à parler de cette énigme et cela peut déranger.
Un bilan humain effroyable
Reste que les restes du territoire martyrisé seront plus détruits encore. Reste que le bilan humain est effroyable: plusieurs centaines de morts, des civils surtout, en quelques heures. Quelques chefs de la milice aussi… qui seront vite remplacés au fond des tunnels.
Les proches des otages encore détenus sont indignés. Ils savent que cette offensive mettra fin à leur espoir de les retrouver vivants. Rejoints par l’opposition démocratique, certes minoritaire mais qui se réveille. Les manifestations reprennent, nourries et fiévreuses. Jusque devant la résidence du premier ministre. La riposte policière est rude. Le journaliste franco-israélien tweete: «Le gouvernement d’extrême-droite sioniste religieux et ultra-orthodoxe accélère la mise en place du changement de régime vers la dictature.» A preuve, le limogeage du chef du Shin Bet (service de la sécurité intérieure), le vote de lois limitant les pouvoirs de la Cour suprême. Celle-la même qui demande des comptes à Netanyahu.
Ce sursaut de la guerre d’une violence inouïe fait bien peu de vagues sous nos latitudes. Chez les Occidentaux comme chez les Arabes. En Russie et en Chine où, discrets, l’on guette les prochains pas de Trump. Bien peu de bruit aussi autour de la violation de l’accord sur le Liban, conclu avec la bénédiction des Américains. Des tirs sporadiques visent presque chaque jour les maisons du sud où la population tente de revenir et de reconstruire ce qui peut l’être. Bombardements au nord, sur la Bekaa, survols incessants de drones sur la capitale pour maintenir la tension. Pour ne pas parler de la Syrie où Tsahal continue de détruire ce qui reste de son armée, de ses infrastructures. Quasi silence, enfin, sur les persécutions incessantes de la population palestinienne en Cisjordanie occupée. Arrestations, tracasseries, détentions prolongées sans jugement: des milliers de détenus sans droits qui de fait servent d’otages. Villages isolées, maisons volées, cultures d’oliviers détruites… Là comme à Gaza et au Liban, l’UNRWA aide les populations réfugiées au quotidien, en matière d’éducation aussi. Le récent vote du Conseil des Etats, plus clair qu’attendu, qui maintient la modeste participation de la Suisse à ce programme sauve son honneur. Comme le font les indignés qui manifestent dans les rues européennes, faute de pouvoir amener les chancelleries à plus de fermeté. Ces gouvernements qui réclament des garanties musclées pour un éventuel cessez-le-feu en Ukraine mais n’y ont jamais songé pour les accords du Moyen-Orient.
«UNRWA, 75 ans d’une histoire provisoire»
L’excellent film documentaire «UNRWA, 75 ans d’une histoire provisoire», de Nicolas Wadimoff et Lyana Saleh, diffusé à la RTS (la TV alémanique ne l’a pas voulu mais on le trouve sur Play Suisse), va au fond des choses. Les Palestiniens y expliquent que cette institution, bien plus qu’une main secourable, est le lieu qui préserve la dignité de leur peuple. En écho, la porte-parole israélienne estime qu’elle est «le péché mortel», «plus dangereuse que le Hamas», qui finira par disparaître, mais la conscience maintenue du bannissement sans fin de la population de Palestine, elle, risque de porter des conflits futurs.
Cette adversaire de l’UNRWA a raison. L’avenir est lourd de menaces à terme pour Israël même. Plus la frénésie tueuse sévira, plus elle se prolongera ̶ comme annoncé ̶, plus le risque grandira. Tôt ou tard. Risque existentiel. Le petit Etat juif n’a de chances de survie à long terme qu’en gagnant non la guerre mais la paix avec les centaines de millions d’Arabes qui l’entourent, divisés et calculateurs sans doute, mais fondamentalement solidaires avec les Palestiniens.
Une vision messianique hors du réel
Or Netanyahu n’a plus d’approche politique avec son voisinage. Ni à court ni à long terme. Avec les extrémistes dont il s’entoure, avec les ultra-orthodoxes fixés sur l’expansion belliqueuse tout en refusant d’envoyer leurs fils à l’armée, le leader s’enferme dans une vision messianique, par définition hors du réel. De surcroît, ce n’est que dans la guerre qu’il peut se maintenir au pouvoir, alors qu’il est assailli de reproches graves.
Le pourrissement meurtrier de la région a de quoi inquiéter bien au-delà du théâtre immédiat. Le jeu des alliances peut s’étendre loin, très loin, et nous menacer de fracas imprévus.
La montée en puissance de la passion belliciste est un phénomène vieux comme le monde. En l’occurrence, elle atteint un paroxysme absolu. Il est vrai qu’elle enfièvre aussi l’Europe que les armes fascinent à nouveau ces temps-ci. A creuser.
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