L’UBS reste une bombe enfouie

Publié le 18 août 2023
Tout est réglé. Passez votre chemin. L’UBS a avalé le Crédit suisse, où est le problème? Cela n’a pas coûté grand chose aux contribuables et ils peuvent dormir tranquilles. Plus besoin des garanties de l’Etat. Tel est le discours. La réalité est autrement plus préoccupante.

La valse des milliards promis en cas de problèmes lors du fameux dimanche de mars a inquiété et irrité. D’autant plus qu’une seule solution au casse-tête du Crédit Suisse n’a été prise en compte: la reprise au rabais par l’UBS qui le convoitait depuis longtemps. La Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter qui menait le bal a été critiquée. Pas bon pour le PLR avant les élections. Alors tombe la décision miraculeuse: le géant assure ne plus avoir besoin du filet de protection étatique. Il fait même un petit cadeau de 200 millions à la Confédération… pour le soutien sonnant et trébuchant apporté au gros de la crise! La brillante ministre explique au micro de la radio romande que l’on a passé au bord d’une épouvantable catastrophe, pour la Suisse, pour le monde entier, pour chaque citoyen et citoyenne. Mais grâce à sa sagesse, celle de la BNS et de la FINMA, on est sauvé. On n’a même plus à imaginer ce qu’eût donné une autre solution. Comme la nationalisation en attendant la revente. Comme la division du malade obèse en plusieurs entités.

Le mastodonte issu finalement de la fusion est certes bien parti. Ce fut une bonne affaire. Acheter pour trois millards un autre colosse – 45 milliards de fonds propres à la fin décembre –, même en crise, mais avec encore des pans sains et juteux, cela permet de voir l’avenir en rose. Pour les dirigeants, pour les actionnaires. Mais en noir pour les quelque 35’000 employés menacés de licenciement en Suisse et dans le monde. En rouge pour les détenteurs d’obligations (AT1) qui ont vu leurs avoirs effacés au nom du «droit de nécessité».

Des voix s’élèvent pourtant qui font grincer la chorale euphorique. La NZZ, peu suspecte de gauchisme, affirme que ni la ministre des Finances ni la BNS n’ont «de raisons de se taper sur les épaules». Car le problème et le risque restent entiers. Une telle crise peut se reproduire à tout moment. Avec une méga-banque «too big to fail» qui pourrait devenir «too big to rescue». Trop grande pour être sauvée. La somme du bilan de la nouvelle UBS représente environ 210% du produit intérieur brut (PIB) de la Suisse. Toutes sortes de garde-fous sont imaginables pour prévenir de nouveaux dérapages, un éventuel troisième appel au secours de l’UBS (déjà sauvée en 2008). Le président du Centre, Gerhard Pfister demande à ce que les fonds propres des banques soient d’au moins 20% du bilan. Ceux de l’UBS aujourd’hui: 4,4%! Et tout le processus de surveillance doit être revu. La FINMA a montré ses défaillances et les limites de ses compétences. Qui fera le ménage? Et quand? «On y réfléchit…» répond la Conseillère fédérale en charge de ces dossiers. Pas pressée du tout. Comme l’UBS qui se réjouit de cet attentisme. «Il n’y a rien en vue», remarque la NZZ. Certains suggèrent que la commission d’enquête parlementaire est un bon prétexte pour retarder le passage à l’action. Il lui faudra un, deux, trois ans pour livrer ses conclusions. Attendons-les avant de faire quoi que ce soit!

La NZZ, encore elle, non contente d’égratigner l’UBS et l’autorité fédérale, prolonge la réflexion en démontrant que les banques cantonales aussi présentent un «risque systémique». Elles se portent fort bien aujourd’hui mais en cas de malheur, au vu des sommes énormes qu’elles brassent, l’une ou l’autre pourrait aussi appeler au secours. La loi prévoit que les cantons doivent leur garantir une «assurance tout risque», les repêcher quoi qu’il en coûte. Trois louables exceptions: Berne, Genève et Vaud ont biffé cette obligation. Il reste 21 banques cantonales bénéficiant de la protection étatique. Or plusieurs d’entre elles ont des bilans qui excèdent largement le PIB de leur canton. Le groupe de réflexion libéral Avenir Suisse a mis en relation les bilans des banques cantonales non seulement avec le PIB cantonal, mais aussi avec les dépenses cantonales annuelles. Il en ressort que si, par exemple, la banque cantonale d’Appenzell Rhodes-Intérieures subissait une perte de 20% de ses actifs à la suite d’une crise, le canton devrait théoriquement renoncer à toutes ses dépenses pendant près de cinq ans afin d’honorer son obligation de responsabilité.

Le journal zurichois rappelle pertinemment que dans l’histoire, même récente, plusieurs de ces rassurantes enseignes de proximité ont connu de sérieux déboires. Certaines ont disparu, à Soleure, en Appenzell Rhodes-Extérieures. D’autres ont dû être sauvées à grands coups de milliards publics, notamment lors de la crise immobilière des années 1990. A Berne, à Genève, dans le canton de Vaud aussi, avant que cette obligation d’assurance étatique ne soit biffée.

Mais à part ça, tout va bien, Madame la Marquise helvétique.

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