Du foot, des urnes et de quelques interrogations

Publié le 2 juillet 2021
La France a le blues. Elle qui croyait avoir gagné le match contre la Suisse avant même de le jouer a passé une fin de soirée aussi amère qu’elle était jubilatoire chez son adversaire. Elle s’en remettra en maugréant contre son entraineur et le malheureux qui a raté son tir au but. Mais côté politique, elle a d’autres soucis plus durables. Qui à certains égards, d’autres façons, font écho aux nôtres.

A la veille du match mémorable de Bucarest, notre voisine s’est trouvée stupéfaite par un dimanche d’élections régionales. Deux Français sur trois ont boudé les urnes. Un choc pour la démocratie telle qu’elle pratiquée et perçue.

Dans l’avalanche des explications, on retient que les partis, tous à des degrés divers, gravitent hors des préoccupations du plus grand nombre. Les discours politiques sont jugés peu crédibles, peu porteurs de perspectives, surchargés d’ambitions partisanes et personnelles. Certes l’élection présidentielle du printemps prochain qui suscite généralement plus d’intérêt rebattra les cartes. Mais l’alerte est sévère pour le système.

Face à ce constat, les Suisses feraient bien de ne pas trop bomber le torse. Ils sont beaucoup plus attachés au vote, surtout face à une question concrète, mais lors des élections, ils ne brillent pas par leur assiduité. Les Romands surtout. Depuis 1970, la participation est en baisse. En 2019, à 45,1% pour le pays. Mais à 38,2% pour Genève, 40,2% pour Neuchâtel, 41,4% pour Vaud, 43% pour Vaud. Seul le Valais se détache avec 54,1%. Bien des conseillers d’Etat ont été élus avec une proportion de votants comparable à celle obtenue par les présidents de régions français. Nos scores globaux sont évidemment moins mauvais que le misérable 28% enregistré ce dimanche en France mais guère rassurants dans la tendance.

Des signes de défiance

Il subsiste en Suisse une large confiance dans les institutions et un certain sens civique. Mais les signes de défiance face aux partis se multiplient sans que l’on en parle trop dans l’establishment. A preuve l’émergence d’une mouvance nouvelle, les «Amis de la constitution» qui a lancé le référendum contre la loi Covid et recueilli le 13 juin 40% des voix — ce n’est pas rien — face à une alliance de fait de tous les partis. Un nouvel assaut référendaire contre les compléments de ce texte, notamment sur le passeport sanitaire, est en cours.

La crédibilité des ténors politiques en a pris un coup aussi avec la loi sur le CO2, refusée de justesse. Ceux qui la présentaient comme une nécessité absolue et salvatrice, dès le lendemain du vote, convenaient qu’elle n’était pas adéquate. Il y a d’autres moyens d’assurer la transition énergétique que d’accabler la populations de taxes diverses. Ils proposent aujourd’hui de payer la facture avec les fonds publics. Que ne l’ont-ils pas compris et dit plus tôt? Ce basculement soudain du discours, franchement, ne fait pas très sérieux.

Quant aux claires perspectives d’avenir qui manquent en France, sont-elle plus évidentes dans le discours politique suisse?

Pataugeoire et déni

Le Conseil fédéral gère le pays. Fort bien, mais sans trop savoir où il va. Face au défi européen, il patauge. Face à l’emprise des Etats-Unis, face à celle, rampante, de la Chine, il est dans le déni. Face au déferlement des outils digitaux, son administration se prend les pieds dans le tapis. Face aux risques militaires, il achète des avions, américains bien sûr pour faire la nique aux Européens, mais il ne dit ou ne voit pas grand chose des périls nouveaux (cybersécurité, drones, etc.). Même sur des terrains qui lui sont plus familiers, comme le régime des retraites, il ne répond pas à l’évolution de la pyramide des âges et des financements conséquents. Soyons justes, il y a un domaine où il est en pointe. Le flicage. Avec sa loi dite anti-terroriste, il rejoint le peloton des pays qui poussent le plus loin la surveillance des citoyens. Et avec le passeport sanitaire à la transparence douteuse, en passe de devenir une obligation de fait, il est zélé aussi.

Alors oui, il est permis de klaxonner sa joie un soir de victoire inattendue au foot, mais l’heure du «y en a point comme nous», elle, est loin de sonner.

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