CRISPR-Cas9: la révolution ignorée et dangereuse

Publié le 13 octobre 2023
CRISPR-Cas9, la technologie qui permet de modifier avec précision le génome des cellules, est aujourd'hui expérimentée sur les plantes, les animaux et les humains, et même déjà autorisée dans certains pays. Un sujet ignoré par le plus grand nombre mais qui mériterait pourtant d'être au cœur d'un débat politique et de société.

Qui ne se souvient pas de l’affaire qui avait secoué toute la planète scientifique en 2018? Le chercheur chinois He Jiankui annonçait la naissance de Lula et Nana, les deux premiers bébés humains génétiquement modifiés. Un an après, les jumelles avaient acquis des mutations à d’autres endroits du génome que celui désiré. Nous l’avions évoqué dans nos colonnes.

Des nombreux sujets suscitent un tollé collectif, puis disparaissent de l’esprit des citoyens. C’est exactement ce qui se passe avec CRISPR-Cas9. Nos opinions publiques, absorbées principalement par la thématique du changement climatique, laissent le champ libre aux avancées de la science dans d’autres domaines, ainsi qu’à l’économie et la politique, qui avancent et en l’occurrence pourraient nous préparer à accepter l’impensable: que nous mangerons à l’avenir des plantes et des animaux génétiquement modifiés, et que même l’homme deviendra un produit issu du processus CRISPR-Cas9.

L’idée inconsciente que CIRSPR-Cas9 sauvera le monde a germé il y a trois ans. Le prix Nobel de chimie 2020 a été décerné à deux généticiennes pour leurs travaux sur le ciseau génétique CRISPR-Cas9, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer A. Doudna. Au cours des trois dernières années, les nouvelles méthodes de génie génétique ont été présentées comme une solution rapide pour faire advenir des cultures et des animaux plus robustes face au changement climatique, et donc pour lutter contre la pénurie alimentaire. Même raisonnement touchant la santé humaine et les maladies génétiques: l’idée de manipuler le génome n’est plus une hypothèse. Depuis la vaccination à l’ARN messager, une grande partie de la population a accepté l’idée.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments a présenté il y a deux semaines un aperçu de ce que donne l’édition du génome chez les animaux d’élevage. Au Japon, des poissons produits à l’aide de nouvelles techniques de génie génétique sont déjà sur le marché. Depuis cette année, la Food and Drug Administration (FDA) américaine autorise la commercialisation de bovins et de porcs dont les gènes ont été modifiés par la technologie CRISPR-Cas9 aux Etats-Unis. Cette modification génétique ne doit pas obligatoirement être indiquée sur l’étiquette puisque jugée sans risques. C’est la première fois que la FDA autorise l’utilisation d’un animal modifié par CRISPR-Cas9 pour la production de denrées alimentaires. Au Brésil et en Argentine, des bovins «modifiés», présentant une production de viande plus importante et une meilleure tolérance à la chaleur ont été également déclarés sans danger pour la consommation.

Jusqu’en septembre 2022, plus de 20’000 demandes de brevets ont été déposées dans le monde entier concernant la méthode d’édition du génome CRISPR-Cas9. Une ruée sur un futur marché qui pèse des milliards.

Ceux qui prétendent que les nouvelles méthodes de génie génétique permettront d’améliorer rapidement les rendements des cultures en période de changement climatique et d’atténuer ainsi les crises alimentaires, omettent de dire que les crises alimentaires sont généralement provoquées par l’homme. Ce sont les guerres, les conflits, les déplacements de populations et les pénuries artificielles causées par les négociants en matières premières sur le marché qui entraînent d’abord les famines.

Pour l’instant, et ce depuis 2005, le Parlement suisse a reconduit quatre fois le moratoire sur le génie génétique jusqu’en 2025. La Commission d’éthique s’est encore prononcée cette année défavorablement à la technique CRISPR-Cas9. En Europe la décision de la Cour de Justice de 2018 indique que les plantes éditées sont équivalentes à des OGM classiques et donc classées dans le moratoire. Mais la Commission européenne a proposé en juillet dernier, à Bruxelles, dans le cadre d’un projet de loi, un assouplissement des règles actuelles en matière de génie génétique.

En Suisse comme dans l’UE, des réformes sont à l’ordre du jour dans ce domaine, à l’horizon de la mi-2024. Mais nous devrions bien plutôt nous concentrer sur des productions locales, des circuits courts, gages de qualité, qui supportent les petits exploitants et nous rendent solidaires de notre économie nationale. C’est ce que réclament les consommatrices et consommateurs, en lieu et place de viandes et de légumes artificiellement façonnées pour un monde en crise. Espérons que les autorités suisses s’en rendent compte à temps.

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