Ce qui devrait changer au Conseil fédéral

Publié le 8 décembre 2023
La Suisse est le seul pays au monde où les ministres décident, sauf de rares exceptions, du temps qu’ils souhaitent passer au pouvoir. Sauf surprise, cela se passera ainsi le 13 décembre. Comment ne pas s’étonner de cette pratique contraire aux intérêts du pays? Il arrive qu’un conseiller fédéral, une conseillère fédérale, patauge au point que son remplacement s’imposerait en toute logique.

Tel M. Ignazio Cassis. Pendant des années il s’est refusé à empoigner le brûlant dossier de l’accord avec l’UE. On n’attendait pas qu’il soit le maître des horloges mais au moins qu’il ne soit pas celui de la procrastination. Plus largement, la politique étrangère helvétique flotte. D’un côté le rapport récent du DFAE rappelle la disponibilité de la Susse pour des efforts de médiation en cas de conflits. Par ailleurs, son chef fait tout pour l’en empêcher. Dans ses tweets depuis l’éclatement de la guerre en Israël, fort révélateurs, il n’a pas un mot dans ce sens, même pour la forme. Il ne manifeste aucune ouverture en direction des pays arabes et reprend pratiquement à la lettre les positions d’Israël. En revanche, le président Berset se rend à Oman en visite officielle, à Doha, multiplie les contacts en marge de la COP28 où l’on parle climat, santé et paix. Cela dans une discrétion inhabituelle. 

Inutile de rappeler que les prises de position sans nuances, plus émotionnelles que rationelles, face à la guerre en Ukraine, excluent désormais pour la Suissse tout rôle de facilitateur le jour où, tôt ou tard, des négociations devront se nouer entre Ukrainiens et Russes.

Si le ministre tessinois reste en place, c’est une page qui se tournera. L’abandon d’une politique indépendante et active. La soumission de fait à l’axe USA-Israël. Comment ne pas voir que nous glisserons vers l’insignifiance? Vers l’abandon d’une part de notre identité? Les diplomates aguerris autour de lui sont consternés mais réduits au silence. Certains, dans la région en feu, tentent   prudemment de renouer des fils de toutes parts. Mais le signal est donné d’en haut. Et le Parlement est invité à rompre tout contact avec l’un des belligérants. Le Hamas, que la Suisse, ces dernières années tenta de raisonner. Sous l’autorité de la conseillère fédérale Calmy-Rey, ses hauts responsables furent reçus à Zurich… et Einsiedeln pour une rencontre à l’église. Certes cela n’a pas empêché la tragédie actuelle. Ce n’est pas une raison de renoncer à ce type de démarches. Demain, après-demain, des négociations auront lieu sur le Moyen-Orient. Un lieu plus éloigné des tensions serait utile. Pourquoi pas la Suisse? En outre, une telle attitude, une telle indépendance garantiraient mieux nos intérêts dans un monde qui devient peu à peu multipolaire. Entrer dans la logique atlantiste n’est pas la réponse à ce défi.

Le risque que nous prenions pourtant ce cap est d’autant plus grand que Mme Viola Amherd semble s’y rallier. Elle fait tout pour nous lier au plus près à l’OTAN. La conseillère valaisanne patauge par ailleurs dans plusieurs dossiers. Le secrétariat d’Etat qu’elle a imaginé ne trouve pas de chef, les diplomates chevronnés ne se bousculent pas pour un poste aux contours mal définis, à cheval sur plusieurs services existants. Le statut et le fonctionnement de Ruag, le fabricant d’armes de la Confédération restent dans le flou. Enfin la crise couve chez les 400 fonctionnaires du Renseignement que leur nouveau chef tente de mettre à la hauteur de leur tâche.

Seule certitude: le Parlement est invité à voter des dizaines de milliards supplémentaires pour l’armée. S’il était lui aussi à la hauteur de ses responsabilités, il changerait la tête de ce département. Cela n’arrivera pas. Les appareils de parti se ménagent entre eux, contrôlent le jeu en fonction de leurs intérêts politiciens. Ceux du pays à long terme les préoccupent peu. Myopie coupable. 

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