Budapest sommé de choisir ses partenaires commerciaux à l’Ouest

Publié le 22 septembre 2023
Depuis le début de la guerre, la Hongrie renâcle à adhérer aux trains de sanctions et aux mesures de rétorsion engagées contre la Russie. La cause, au-delà du rôle de trouble-fête «illibéral» que joue le Premier ministre Orbán en Europe, est économique: Budapest a tissé de solides liens commerciaux avec Moscou et la Chine, ce que l'UE voit d'un très mauvais œil. Pour le média d’investigation VSquare, le journaliste hongrois Szabolcs Panyi explique que désormais le vent tourne, «sous pression occidentale».

Le gouvernement Orbán, au pouvoir depuis 13 ans en Hongrie, prend soin d’entretenir dans ses amitiés un mouvement de balancier entre l’Est et l’Ouest – ménage la chèvre et le chou autant que faire se peut. Ces derniers temps, il semble que l’Ouest l’emporte.

«Scoop piquant» de Szabolcs Panyi et ses confrères de VSquare: le gouvernement tente d’acquérir la société Budapest Airport, qui possède l’aéroport Liszt-Ferenc de la capitale, pour un montant de 4 milliards de dollars. Où aurait-il trouvé cet argent? Selon une source, le Premier ministre aurait envisagé de s’associer avec des partenaires commerciaux chinois et qataris. Un projet que la «pression occidentale» – selon cette même source, qui n’en dira pas davantage – l’a forcé à abandonner. 

A la place, c’est avec la société française Vinci, déjà exploitante de 65 aéroports sur quatre continents, que l’Etat hongrois fera affaire. «Ce qui est intéressant dans ce partenariat, c’est que Vinci sera un actionnaire minoritaire, mais qu’il apportera un financement supérieur à sa participation, ce qui signifie qu’il paiera l’essentiel du prix. Selon notre source, Vinci deviendra non seulement l’opérateur de l’aéroport de Budapest, mais obtiendra également des droits de gestion, dans l’état actuel des négociations. (Vinci Airports n’a pas répondu à notre demande de commentaire).»

Fait amusant: Vinci exploite et détient à 100% l’aéroport Nikola-Tesla de Belgrade depuis 2018 et est régulièrement mis en cause pour sa mauvaise gestion financière et des ressources humaines, pour les retards considérables dont sont victimes les voyageurs et le manque criant de personnel. Mais un partenaire commercial tricolore est bien plus présentable aux yeux de l’Union européenne, dont Budapest dépend des subsides.

Autre sujet de tensions depuis février 2022, la centrale nucléaire de Paks, dans le centre du pays. 

La société russe Rosatom devait se charger de la construction de deux réacteurs supplémentaires, Paks2, à l’horizon 2023, tandis que l’Américain General Electrics (GE) annonçait fournir le matériel, en particulier des turbines. Or General Electrics se retire du projet, révèle VSquare. L’entreprise a, en outre, vendu l’une de ses filiales spécialisée dans l’équipement des centrales à un autre fleuron du nucléaire, le Français EDF… «L’une des conséquences les plus importantes de la sortie de GE pourrait être que la possibilité de sanctions américaines visant le projet russe est désormais plus grande.»

Car la présence de Rosatom sur le territoire de l’UE demeure un problème, Paks étant la dernière centrale européenne opérée par l’entreprise russe.

La semaine dernière, la revue spécialisée Nuclear Engineering International allait plus loin, en annonçant que le gouvernement hongrois pourrait en fait se passer aussi de combustible russe pour faire fonctionner la centrale de Paks. «Le Premier ministre a déclaré son intention d’atteindre « l’autosuffisance énergétique, ce qui inclura l’exploitation de la centrale de Paks avec du combustible français au lieu du combustible russe ». Actuellement, les pays d’Europe de l’Est dotés de centrales nucléaires soviétiques subissent de fortes pressions de la part de l’Union européenne pour qu’ils se détournent du combustible nucléaire russe.»

Enfin, VSquare rappelle que le projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative) est au point mort en Europe, après le retrait de l’Italie. Parmi les membres de l’UE, seule la Hongrie demeure intégrée à l’initiative, en l’occurence dans la construction de la ligne ferroviaire Belgrade-Budapest. «Selon une source hongroise au fait des détails du projet, le gouvernement allemand a exercé de fortes pressions diplomatiques sur la Hongrie pour s’assurer que les parties les plus sensibles du projet – l’équipement de signalisation ferroviaire et surtout le système de contrôle automatique des trains – ne soient pas construites en utilisant la technologie chinoise.» Cela pour des raisons bureaucratiques, l’UE s’efforçant de mettre en place un système ferroviaire unifié, mais surtout de sécurité intérieure: il n’est pas question que la Chine s’immisce dans le contrôle des trains en Europe, selon Berlin. Pour remplacer l’opérateur chinois, l’Allemagne cherchait à imposer Siemens, le gouvernement hongrois lui préfère finalement le Tchèque AŽD Praha.

Comme dans les deux cas précédemment évoqués, Budapest ne peut invoquer la seule souveraineté pour balayer les pressions et les demandes de Bruxelles. La ligne Belgrade-Budapest devra en effet obtenir une licence européenne pour fonctionner. Si le gouvernement Orbán continue de faire cavalier seul en matière de diplomatie, si le Premier ministre fait mine de se moquer des sanctions dont Bruxelles le menace de façon récurrente, on voit que l’UE conserve tous ses leviers pour dicter à Budapest avec qui travailler et avec qui rompre.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Moldavie: victoire européenne, défaite démocratique

L’Union européenne et les médias mainstream ont largement applaudi le résultat des élections moldaves du 28 septembre favorable, à 50,2 %, à la présidente pro-européenne Maia Sandu. En revanche, ils ont fait l’impasse sur les innombrables manipulations qui ont entaché le scrutin et faussé les résultats. Pas un mot non (...)

Guy Mettan
Sciences & Technologies

Facture électronique obligatoire: l’UE construit son crédit social chinois

Le 1er janvier 2026, la Belgique deviendra l’un des premiers pays de l’UE à mettre en place l’obligation de facturation électronique imposée à toutes les entreprises privées par la Commission européenne. Il s’agit d’une atteinte majeure aux libertés économiques et au principe de dignité humaine, soutenu par l’autonomie individuelle. Outre (...)

Frédéric Baldan

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan
Accès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Et si on parlait du code de conduite de Nestlé?

Une «relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée» vient de coûter son poste au directeur de Nestlé. La multinationale argue de son code de conduite professionnelle. La «faute» semble pourtant bien insignifiante par rapport aux controverses qui ont écorné l’image de marque de la société au fil des ans.

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Stop au néolibéralisme libertarien!

Sur les traces de Jean Ziegler, le Suisse et ancien professeur de finance Marc Chesney publie un ouvrage qui dénonce le «capitalisme sauvage» et ses conséquences désastreuses sur la nature, le climat, les inégalités sociales et les conflits actuels. Il fustige les dirigeants sans scrupules des grandes banques et des (...)

Urs P. Gasche

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan