Après la vague de coups d’Etat militaires, où ira l’Afrique?

Les militaires qui prennent le pouvoir au Gabon, des généraux, les chefs de la garde présidentielle, la gendarmerie, n’ont tenu aucun propos anti-français. Mais Paris les a mollement condamnés. La relation pourrait se tendre. La rébellion paraît trouver un large appui dans la population, excédée par le règne des Bongo, d’abord le père, Omar, puis le fils, Ali, 64 ans, handicapé, victime d’un AVC. Au total 57 ans de pouvoir familial. Les élections, vraisemblablement truquées, devaient en rajouter cinq.
Point commun entre ce qui s’est passé au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Niger et maintenant au Gabon: un mécontentement face à des gouvernements élus plus ou moins démocratiquement, jugés incompétents et corrompus. Incapables d’assurer des conditions de vie dignes au fond des campagnes, incapables de freiner l’avance de groupes rebelles, djihadistes et autres. Les juntes qui s’emparent du pouvoir en profitent. Et maudissent la France, désignée comme coupable de tous les maux. Jusque dans les pays restés stables, comme la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo, la grogne court en sourdine, à en juger par le déferlement des interventions sur les réseaux sociaux. Le cas du Sénégal, vu comme un modèle de démocratie et de stabilité, est aussi préoccupant. A l’approche des élections de 2024, son président Macky Sall a mis en prison son principal opposant, Ousmane Sonko, et dissout son parti. Le pouvoir prépare une succession conforme aux vœux de son chef actuel, démissionnaire, et à ceux de la France. De sévères heurts et tensions ont eu lieu et d’autres s’annoncent. Il n’est pas innocent que les membres de la CEDEAO (Communauté de développement économique de l’Afrique occidentale) favorables à une intervention militaire au Niger – en violant le droit international, soit dit en passant –, ces va-t’en-guerre, ont été freinés par leurs opinions publiques.
Le déferlement des émotions anti-françaises est spontané, chaotique, simpliste, chargé d’illusions. Mais on y mentionne des faits objectifs qui appelleront une réponse si la France veut sauver les meubles. Le franc CFA par exemple. Les fonds des 14 pays qui utilisent cette monnaie, fondée au moment de l’indépendance, sont confiés à hauteur de 50% (75% autrefois) à la Banque de France qui les place, les répartit, les gère à sa guise. C’est un atout pour les banques nationales qui évitent ainsi des fluctuations excessives. Mais une perte de souveraineté. Cela ne pourra pas durer. Les Britanniques ont évité ce piège avec leurs anciennes colonies.
Autre point brûlant: la répartition des richesses du sous-sol et des produits agricoles exportés. Ainsi la société française Orano exploite l’uranium au Niger, où l’Etat ne perçoit que 5,5% des revenus et se retrouve avec des problèmes de pollution alarmants. La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao qui fait vivre un million de personnes… dont la moitié au-dessous du seuil de pauvreté. Le traitement du produit se fait en Europe (en Suisse notamment) et s’avère infiniment plus rémunérateur que la culture. Sans la correction de ces injustices, l’avenir social et politique s’annonce sombre.
La grande question, aujourd’hui, est de savoir quelles puissances extérieures tentent ou tenteront d’occuper l’espace, d’influence et d’action, que la France est contrainte de céder pour tout ou partie. La Russie? Elle est active au Sahel, surtout avec la bande Wagner, même privée de son chef. Ces mercenaires, sous un nouveau commandement, continueront sans doute de protéger tel ou tel pouvoir militaire en échange des diamants et de lots trouvés sur place. Mais à grande échelle, les Russes, occupés et appauvris par leur guerre, ne peuvent guère rivaliser avec d’autres acteurs mieux placés.
D’abord, discrètement, les USA. On les voit plutôt conciliants avec la junte au Niger: elle n’exige pas le départ de leurs troupes. Les diplomates américains sont très actifs en Afrique ces temps-ci. Une information piquante: le chef proclamé des putschistes gabonais, qui dirigeait la garde présidentielle, est en fait le neveu d’Ali Bongo. Brice Clothaire Oligui Nguema a fait de longs séjours au Maroc… et aux Etats-Unis. Où il a acheté plusieurs propriétés, dont une, payée cash, à Silver Spring dans le Maryland (selon l’Organized Crime and Corruption Reporting Project). Un leader aux affinités américaines à la place d’un vieux président très lié à la France… Le président déboulonné, tassé dans un fauteuil de sa «résidence surveillée», sait d’où souffle le vent. Son appel à l’aide («faites du bruit!») sur Tiktok, il le lance étonnamment… en anglais. Mais son règne a pris fin. Son successeur, qui se veut «président de la transition» donne tous les signaux pour rassurer les «partenaires» du Gabon, à commencer par la France qui lui est si fortement liée, économiquement et humainement (15’000 Français y vivent). Rupture dans la continuité. Au point que bien des opposants au régime déchu voient là plus une révolution de palais qu’un tournant historique.
La Chine était aussi dans les meilleurs termes avec Bongo. Elle n’a cessé depuis une quinzaine d’années d’élargir son champ d’action et de consolider sa présence en Afrique, traditionnel pré carré des puissances occidentales. Approbation par Pékin d’une ligne de crédit de 2 milliards de dollars au gouvernement angolais au grand dam des institutions financières internationales; contrat exceptionnel annoncé en 2007 avec la République démocratique du Congo; croissance des investissements dans les secteurs du cuivre en Zambie, du charbon au Zimbabwe, du pétrole au Soudan et au Gabon; acquisitions à grande échelle de terres au Cameroun, en Ouganda et en Ethiopie; rachat de 15% des parts de la plus grande banque sud-africaine (Standard); construction prévue ou en cours de nouveaux barrages (Zambie, Ghana, etc.); lancement de multiples projets d’infrastructures sur l’ensemble du continent (universités, voies ferrées, ports, routes, etc.); ballet incessant des diplomates chinois sur le sol africain…
Un autre acteur moins connu à cet égard abat aussi ses cartes: la Turquie. Elle multiplie sa présence en Afrique. Les échanges avec elle ne cessent de croître. Ses ambassades s’activent dans 44 pays du continent. Son rôle ne se résume pas au commerce. Il va du soft power avec des établissements éducatifs et sociaux ou des projets médias, à des projets d’infrastructures, en passant par de l’aide humanitaire contre la famine en Somalie. Les entreprises du bâtiment turques sont bien implantées dans la construction de routes, ponts, lignes de chemin de fer, aéroports ou mosquées en Afrique. En retour, le continent devient un fournisseur d’énergie et de matières premières de plus en plus important pour la Turquie.
Enfin, les pays du Golfe et Israël cherchent également influence et bonnes affaires partout où c’est possible à travers le continent noir.
Autant dire que dans cette partie du monde, la présence de l’Europe, même encore bien ancrée ici et là, est en fort déclin.
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