André Comte-Sponville: «Montaigne nous apprend à aimer la vie telle qu’elle est, imparfaite, mortelle»

Publié le 9 septembre 2020

Le philosophe André Comte-Sponville au Livre sur les Quais (Morges), en septembre 2020. – © Indra Crittin

Montaigne était déjà présent dans ses précédentes œuvres. André Comte-Sponville, auteur d’«Impromptus» rappelant justement les «Essais», mais aussi du «Petit traité des grandes vertus» et d’une vingtaine d’autres ouvrages, publie ces jours-ci le Dictionnaire amoureux de Montaigne chez Plon. De passage à Morges pour le Livre sur les Quais, l’un des philosophes français actuels les plus lus et reconnus se prête à un riche entretien sur l’actualité de Montaigne. Mais aussi sur la nécessité, plus que jamais, de penser de manière critique, voire sceptique. Ses positions à contre-courant sur les mesures sanitaires ont été interprétées à tort et à travers. Place à une entrée en profondeur dans sa pensée.

Bon Pour La Tête: Votre Dictionnaire amoureux de Montaigne nous rappelle que cet auteur pense comme il écrit. Et vu qu’il écrit comme il respire, il pense comme il respire. Il y a chez lui une interpénétration de la langue et de la pensée. Est-ce un lieu commun de le constater chez un auteur ou y a-t-il quelque chose de spécial chez Montaigne?

André Comte-Sponville: Je crois que Montaigne est très particulier à cet égard. En effet, il pense comme il respire, mais cela implique d’abord qu’il pense. Ce qui l’intéresse, ce sont les idées. En même temps, ce qui lui donne cette singularité, c’est que s’il est passionné par les idées, il ne croit à aucune d’entre elles. D’où cette liberté invraisemblable, à la fois de ton, mais aussi d’allure. Montaigne a le sens foncier de l’incertitude de tout, de la limitation de notre pouvoir de connaître. Bref, c’est un sceptique. Mais un sceptique qui aime les idées. C’est un vrai philosophe, mais sans doctrine, sans système. Non qu’il croie à n’importe quoi, mais il est toujours prêt à changer de point de vue et a continuellement l’impression qu’il peut se tromper. C’est ce qu’on appelle dans la philosophie contemporaine un faillibilisme: des choses sont plus vraisemblables que d’autres, mais rien n’est absolument certain. La pensée de Montaigne est toujours à distance de la pensée. C’est pourquoi ses Essais m’ont tellement marqué, moi qui ai commencé par être un penseur dogmatique au sens où Epicure, Spinoza et Descartes...

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