La démocratie sous narcose

Publié le 21 mai 2021
L’endormissement de nos neurones civiques est administrée par doses variables à des fins diverses L’une d’elles a déjà produit ses effets. Le Conseil fédéral a tué l’accord avec l’Europe, sans douleurs, sans le moindre débat au parlement, sans aucun vote populaire. En cachant sa propre étude sur les conséquences du sabordage. Dans ce pays qui se gargarise au sirop démocratique, c’est ahurissant! Mais d’autres somnolences forcées sont aux fins de renforcer le pouvoir étatique sans contrôle. Avec deux lois qu’il nous est demandé d’applaudir le 13 juin.

On n’a jamais autant parlé des surveillances diverses dont le simple pékin peut être l’objet. Les GAFA nous guettent. Facebook nous trace pour nous fourguer des pubs. Une panoplie d’applications enregistrent nos sorties, où nous avons mangé et avec qui. Et cetera, et cetera. Or c’est le moment choisi pour faire passer deux lois qui faussent les règles du jeu démocratique, restreignent les libertés et favorisent le flicage. La première, dite loi Covid, donne les pleins pouvoirs au Conseil fédéral pour une durée indéterminée. Il peut ainsi imposer ce qu’il veut, sans débat parlementaire, avec des consultations aléatoires. Il apporte sans cesse des amendements, telle l’introduction du passeport sanitaire. Quasiment personne ne bronche au Parlement mis hors jeu, à la différence de celui du Parlement français qui résonne des empoignades sur le même thème. On y reviendra.

L’autre de ces lois, dite anti-terroriste, doit permettre d’observer en douce toute personne soupçonnée de sombres desseins. Avant même qu’un délit soit commis et sans l’aval d’un juge. Le gouvernement nous avertit: un like mal placé, une fréquentation de sites douteux, jugés subversifs, et toc, on peut se retrouver dans le collimateur. On nage dans la présomption de la dangerosité. Sans preuves concrètes. Sans appréciation d’un juge. Cette loi dispose de ce qui «pourrait être considéré comme du terrorisme». Ainsi, les «actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique» donneraient lieu au prononcé de «mesures policières» s’apparentant en réalité à des peines de nature pénale et ce, sans la validation d’un tribunal. De tout temps il y eut des mouvements visant à influencer l’ordre étatique. Il y en aura encore, de toutes natures, et c’est heureux. Une démocratie digne de ce nom doit les admettre dans le jeu, les combattre au besoin, mais sûrement pas les soumettre à l’arbitraire policier. Criminaliser les velléités révolutionnaires, quelles qu’elles soient, c’est poignarder la liberté politique.

Quant à l’ampleur du danger véritablement terroriste, parlons-en. Il y eut deux cas ces vingt dernières années. Rien ne prouve qu’un espionnage des suspects les aurait évités. Les organisations djihadistes ne frappent pas indistinctement tous les pays. Elles ont causé des horreurs en France parce que celle-ci est engagée dans une guerre anti-islamiste en Afrique. Rien n’indique que la Suisse retient leur attention. Et si c’était le cas un jour, on ne peut l’exclure, ces professionnels de la terreur, rompus à tous les camouflages, trouveraient probablement les moyens d’échapper à ces modes mécaniques de surveillance. La collaboration avec les services de renseignement étrangers est bien plus utile. L’intelligence, au sens politique et policier, est infiniment plus efficace que les détecteurs algorithmiques des déviances.

Il y a disproportion entre la menace et la gravité des mesures. Celles-ci prévoient entre autres des assignations à résidence. Applicables même aux enfants dès douze ans! Ce qui indigne les organisations de droits de l’homme et de la protection de l’enfance, les Nations-unies et de nombreux juristes encore attachés aux libertés fondamentales.

Comment croire à la raison de la police en toutes circonstances?

Mais nous serons raisonnables, protestent les policiers et leurs responsables politiques. Comment peut-on croire à leur retenue dans un pays qui a connu le scandale des fiches, avec 700’000 personnes étiquetées pour leurs opinions politiques, souvent à tort et à travers? Quand un pouvoir dispose de tels outils pour traquer la panoplie des «suspects» de tout poil, il en use. Au risque d’ailleurs de se disperser au détriment de tâches plus impérieuses.

Comment croire à la raison de la police en toutes circonstances? Quand les émotions s’échauffent, elle s’emporte. On l’a vu l’autre jour à Berne où la manifestation anti-gouvernementale n’a pas eu lieu, mais où des personnes dispersées, buvant un verre sur les terrasses, ont été collées le dos au mur, menottées en cas de récriminations, retenues des heures en cellules. Parce qu’elles étaient suspectes d’avoir voulu manifester! Repérées parce qu’elles ne portaient pas le masque, le chef de la police bernoise dixit.

Sur le terrain abusivement dénommé «antiterroriste» comme sur d’autres, le plus efficace soporifique de la raison, c’est la peur. Une société obsédée par la trouille et le refus du risque, commence par sacrifier ses libertés. Et amorce son déclin. Mais c’est là une réflexion philosophico-politique qui, c’est à espérer, ne fait que commencer.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet

Tchüss Switzerland?

Pour la troisième fois en 20 ans, le canton de Zurich envisage de repousser au secondaire l’apprentissage du français à l’école. Il n’est pas le seul. De quoi faire trembler la Suisse romande qui y voit une «attaque contre le français» et «la fin de la cohésion nationale». Est-ce vraiment (...)

Corinne Bloch
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Jean-Stéphane Bron plaide pour une diplomatie «de rêve»

Plus de vingt ans après «Le Génie helvétique» (2003), puis avec l’implication politique élargie de «Cleveland contre Wall Street» (2010), le réalisateur romand aborde le genre de la série avec une maestria impressionnante. Au cœur de l’actualité, «The Deal» développe une réflexion incarnée, pure de toute idéologie partisane ou flatteuse, (...)

Jean-Louis Kuffer

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani

Cachez ces mendiants que je ne saurais voir!

Après une phase que l’on dira «pédagogique», la Ville de Lausanne fait entrer en vigueur la nouvelle loi cantonale sur la mendicité. Celle-ci ne peut désormais avoir lieu que là où elle ne risque pas de déranger la bonne conscience des «braves gens».

Patrick Morier-Genoud

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet

La Suisse ne dit pas non aux armes nucléaires

Hiroshima, qui commémorait le 6 août les 80 ans de la bombe atomique, appelle le monde à abandonner les armes nucléaires. Mais les Etats sont de moins en moins enclins à y renoncer.

Jacques Pilet

Quentin Mouron ressaisit le bruit du temps que nous vivons

Avec «La Fin de la tristesse», son onzième opus, le romancier-poète-essayiste en impose par sa formidable absorption des thèmes qui font mal en notre drôle d’époque (amours en vrille, violence sociale et domestique, confrontation des genres exacerbée, racisme latent et dérives fascisantes, méli-mélo des idéologies déconnectées, confusion mondialisée, etc.) et (...)

Jean-Louis Kuffer