Tout ce qu’il faut savoir sur la révolution du sucre

Publié le 10 octobre 2020
Des groupes de chercheurs et des entreprises de différentes régions du monde tentent de redéfinir le sucre pour le rendre moins calorique sans en altérer le goût ou les propriétés. Un article paru dans The New Yorker explique le projet des multinationales qui veulent continuer à vendre d'innombrables sucreries dans le monde.

Le sucre n’est pas facile à remplacer. Malgré les efforts des scientifiques du siècle dernier, aucune méthode alternative artificielle n’est vraiment convaincante, et encore moins universelle. L’impact imminent des nouvelles normes nutritionnelles, associé à la pression des règlements et à celle de l’opinion publique, a provoqué la panique et par conséquence une vague d’innovations dans l’industrie.

Cependant, l’idée de l’industrie alimentaire n’est pas de trouver un substitut, comme l’aspartame ou la stévia, mais de modifier les propriétés physiques ou chimiques du sucre pour le maintenir en son état, et de réduire sa teneur en calories et d’éviter qu’il altère le goût des produits. 

Parce qu’avouons-le, nous aimons le sucre et tout ce qui en contient. Nous l’aimons même trop, au point d’en consommer beaucoup plus que ce qui est recommandé — selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), pas plus de six cuillères à café par jour. Cela nous incite à consommer des produits contenant les alternatives au sucre citées plus haut, que nous pensons être meilleures. Or si nous en abusons, nous risquons d’avoir les mêmes problèmes qu’avec du vrai sucre, ou des problèmes plus graves. Car malgré tout, il s’agit toujours de sucres ajoutés.

Au laboratoire

Mais venons-en aux projets dont parle la journaliste du New Yorker, Nicola Twilley. 

La start-up israélienne DouxMatok a lancé une variante du sucre appelée Incredo. Une méthode qui va changer le paysage de la production alimentaire en rendant le sucre si efficace que les entreprises alimentaires pourront en utiliser 40 % de moins, tout en conservant les mêmes goûts. 

DouxMatok a annoncé sa collaboration avec Südzucker, l’une des principales sociétés sucrières européennes qui souhaite importer en Europe la nouvelle technologie de la start-up israélienne. Cette année-même, des produits à base d’Incredo devraient être lancés, d’abord en Allemagne avant d’être proposés sur tout le continent.

Twilli écrit que les chercheurs ont inséré de minuscules particules de silice1 dans des cristaux de sucre, «comme des myrtilles dans des muffins». Conséquence chimique: la liaison entre le dioxyde de silicium et le sucre est rompue dans la bouche, exposant une plus grande surface de saccharose au contact de la salive. De plus, Incredo se dissout plus rapidement, sature d’abord les papilles gustatives et produit «un coup de sucrosité intense».

Tate & Lyle, une société déjà active sur le marché des édulcorants, commercialise quant à elle l’allulose (on le trouve naturellement dans les figues et le sirop d’érable, bien qu’en petite quantité) sous le nom de Dolcia Prima: elle possède de nombreuses propriétés du sucre, mais surtout 70% de sa douceur et seulement 10% de ses calories. Selon les chercheurs de cette compagnie, l’allulose n’est pas digérée par le corps humain, et elle peut donc être considérée comme un sucre à zéro calorie. Mais des études supplémentaires sont encore nécessaires.

Pour sa part, Nestlé a annoncé qu’elle mettait au point une nouvelle technologie de réduction du sucre. Elle sera basée sur la fermentation, mais nous en saurons plus prochainement. Rappelons qu’il y a quelques années, Nestlé avait déjà tenté de mettre sur le marché un produit à taux de sucre réduit, mais sans succès. Ses barres de chocolat avec 60% de sucre en moins n’ont pas suscité de ruées dans les supermarchés, notamment  en raison de leur coût plus élevé que les barres traditionnelles. 

Promesses

Afin de répondre aux souhaits de l’opinion publique, les entreprises alimentaires ont promis de réduire la teneur en sucre de leurs produits. Pepsi a annoncé que d’ici 2025, au moins les deux tiers de ses boissons ne contiendront plus que 100 calories ou moins d’édulcorants ajoutés. D’ici à 2022, un consortium d’entreprises de confiserie comprenant Mars Wrigley, Ferrero et Russell Stover, a promis que la moitié de leurs produits en portions individuelles contiendra au maximum 200 calories par paquet. Nestlé, pour sa part, a décidé de réduire le sucre ajouté de 5% avant la fin de l’année. 

Tous ces projets sont prometteurs et sont basés sur le fait qu’en matière d’alimentation saine, il existe une différence substantielle entre les préférences déclarées par les consommateurs et celles qui sont révélées (la théorie des préférences révélées est une théorie économique connue et valable dans de nombreux domaines). Comme le résume la journaliste Nicola Twilley, tout le monde dit vouloir manger plus sainement et réduire sa consommation de sucre, mais lorsqu’ils se retrouvent devant les rayons du supermarché, les acheteurs préfèrent les produits sucrés auxquels ils sont habitués, et écartent les plus sains.


Lire aussi: Le Chili en pointe contre l’obésité


Cela dit, les chercheurs nous laissent entrevoir une perspective renversante: dans cinq ans, nous serons en mesure de réduire de 80 à 90% la teneur en sucre d’un aliment, tout en conservant la pleine sensation du sucre.  

La question est maintenant de savoir quelle sera la technique de marketing la plus efficace auprès des consommateurs.


1 La silice est un élément minéral présent naturellement sous forme pure ou en cristaux. On la retrouve dans la composition de la croute terrestre, dans les roches volcaniques ou sédimentaires. Elle est actuellement utilisée dans de nombreux domaines: l’optique, l’électronique, et l’agroalimentaire comme antiagglomérant. Sous forme de poussière, si elle est inhalée, la silice présente un risque reconnu pour la santé. 

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