La Pologne brisée

Publié le 14 juillet 2020
Qu’un candidat à la présidence l’emporte sur un autre, en Europe de l’ouest, cela ne porte pas à d’immenses conséquences. Ce qui vient d’arriver en Pologne est d’une autre nature. Ce sont deux visions du monde qui se sont affrontées avec une violence inouïe. Le président sortant Andrzej Duda l’a emporté avec 51,2 % des voix. Il est en fait «le stylo à bille» (comme on dit là-bas) du cacique Kaczynski, fondateur du PiS, parti ultra-conservateur, ultra-catholique et ultra-nationaliste. Son adversaire, le maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski, de centre-droit, a su rassembler les opposants au régime actuel mais a échoué de peu. Une moitié de la Pologne est dans l’euphorie, l’autre dans la tristesse. Que retenir de cette joute?

Les Européens doivent savoir que cette élection a été faussée de multiples façons. Les médias d’Etat ont mené une campagne unilatérale pour Duda. Aucun débat entre les deux candidats n’a pu avoir lieu. Maintes tracasseries ont empêché de voter beaucoup de Polonais de l’étranger (plus de deux millions) et le résultat final a été proclamé avant le dépouillement de leurs bulletins. Toutes sortes de cadeaux ont été accordés aux entités locales favorables au pouvoir. Tandis que les villes réfractaires subissaient des coupes.
Ce qui n’a pas empêché une participation massive: 68 %! Un record absolu. Note réjouissante dans le tableau.

Lire aussi: Le 14 mars, j'ai quitté la Pologne

On n’imagine pas d’ici la violence des arguments utilisés par le PiS. Il proféra une foule de menaces au cas où l’opposition gagnerait. Les Allemands reviendraient en force, la finance juive internationale s’emparerait du pays, les mesures sociales seraient supprimées, l’âge de la retraite repoussé, la police serait désarmée, les homos feraient la loi, à l’école les enfants seraient initiés à toutes les sexualités dès leur plus jeune âge, c’en serait fini de la souveraineté polonaise, etc… Toutes présomptions bien sûr démenties par le challenger.
L’alliance de fait avec l’Eglise catholique a aussi joué. La plupart des prêtres ont pris parti pour Duda. Et la puissante organisation du prêtre intégriste Rydzyk a mis le paquet à partir de sa base de Torum, où il contrôle un empire médiatique et une «école supérieure de la culture sociale et des médias». Sa fondation a reçu de l’Etat 160 millions de dollars ces dernières années.
Mais le maintien d’un électorat pro-gouvernemental fort tient aussi à d’autres raisons. Ces cinq dernières années, la situation économique du pays s’est beaucoup améliorée. La ...

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