Les purges de Staline en Carélie: un devoir de mémoire

Publié le 26 mai 2020

Depuis 1998, Sandarmokh et Krasnyj Bor sont devenus de véritables lieux de mémoire, où les victimes de la répression sont commémorées chaque 5 août. – © Wikimedia Commons

Depuis des décennies, l’historien russe Iouri Dmitriev, a passé son temps à localiser les fosses communes des personnes qui ont été exécutées pendant la période stalinienne. Une recherche qui dérange certaines personnes. Dmitriev est actuellement en état d'arrestation et son procès est devenu une affaire publique en Russie, rapporte le New York Times.

Tout a commencé dans une zone boisée d’un hectare, infestée d’insectes. Au milieu de la forêt de Sandormoch, en République de Carélie, au nord de la Russie, près de la frontière avec la Finlande, Iouri Dmitriev a découvert un charnier où étaient enterrés environ sept mille prisonniers politiques tués par la police secrète de Staline entre 1937 et 1938.

Lors de cette même année, 1997, Dimitriev trouve un autre lieu de sépulture en Carélie, à Krasnyj Bor, où sont enterrées un millier de victimes. Ses travaux de recherche ont permis d’identifier toutes les 1297 dépouilles de Krasnyj Bor, cas inhabituel dans l’histoire du goulag.

L’historien a alors décidé d’ouvrir des archives pour documenter sa découverte et a ensuite créé l’association Memorial. Sur la zone des charniers, il a fait ériger une énorme pierre appelée Sandarmokh sur laquelle sont gravés les mots Les hommes ne s’entretuent pas.

Depuis 1998, Sandarmokh et Krasnyj Bor sont devenus de véritables lieux de mémoire, où les victimes de la répression sont commémorées chaque 5 août.

Mais en 2016, Dmitriev est l’objet de premières accusations et il est arrêté. Aujourd’hui, il est en prison et attend son procès pour pédophilie, ce qui, selon sa famille, ses amis et ses partisans, n’a aucun sens. En Russie, l’accusation de pédophilie est un outil souvent utilisé pour faire taire les auteurs de rumeurs malvenues pour les autorités, écrit le New York Times. Les proches de l’historien affirment que la détention de Dmitriev est politiquement liée à son travail de révélation de la vérité sur les centaines de milliers de personnes tuées pendant la répression stalinienne.

Le président Vladimir Poutine et ses fonctionnaires ne nient pas les horreurs de l’ère stalinienne, mais préfèrent attirer l’attention du public sur les crimes commis par des agresseurs étrangers, explique le quotidien américain.

Iouri Dmitriev a également travaillé pendant neuf ans sur un Livre de la Mémoire, qui contient les noms de 64’000 citoyens soviétiques déportés en Carélie depuis différentes régions de l’URSS. Beaucoup étaient des prisonniers politiques envoyés pour «construire le socialisme». Entre 1931 et 1933, ils ont travaillé sur le premier «grand ouvrage» soviétique édifié avec les prisonniers du Goulag – le canal de la mer Blanche à la mer Baltique, qui à l’époque portait le nom de Staline. Des milliers de personnes sont mortes sur ce chantier à cause de la fatigue et des conditions extrêmes auxquelles elles ont été exposées.

Sergej Verigin, historien de l’université de la ville de Petrozavodsk, et co-auteur d’un livre récemment publié intitulé Les Mystères du Sandarmokh, a réitéré que dans son écrit il n’essaie pas de nier les atrocités de l’ère stalinienne ou que ce sont les restes d’innocents tués par la police secrète soviétique. Selon Verigin, cependant, le nombre de victimes a été largement exagéré «par les forces dites démocratiques qui veulent politiser l’histoire et cacher les crimes commis par les ennemis de la Russie pendant la Seconde Guerre mondiale».

L’impression que donne cette tribune – signée par Andrew Higgins* –  est qu’au lieu d’une réflexion critique et partagée sur l’héritage de l’ère soviétique, un processus de controverse a été mis en route. Parler des crimes et des répressions staliniennes devient dans certains cas non seulement «antipatriotique», mais aussi inconfortable pour le récit officiel.


* Andrew Higgins est le directeur du bureau de Moscou du New York Times. Il a fait partie de l’équipe qui a remporté le prix Pulitzer 2017 du journalisme international, et a dirigé une équipe qui a remporté le même prix en 1999 alors qu’il était à la tête du bureau de Moscou du Wall Street Journal


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