Les surprises du reportage sur le terrain

Publié le 1 avril 2020

Quelques kilomètres avant la douane de Bardonnex, on annonce une sortie restreinte vers la France. Restreinte, mais possible… – © Sarah Dohr

Je ne suis pas journaliste. Je suis une citoyenne qui se pose des questions. Et qui ne trouve pas les réponses dans les médias, à la télé et encore moins dans les conférences de presse de notre gouvernement. Alors je prends la route pour tenter de voir ce que veut vraiment dire la situation de crise, dans laquelle quasiment tous les gouvernements nous ont mis. Nous, le peuple.

La France, notre grand voisin, se trouve confinée depuis deux semaines. Les habitants ne doivent plus sortir de chez eux sans une autorisation qu’ils doivent préalablement remplir. Sur ce papier, on peut cocher les raisons suivantes: déplacement entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle. Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle. Consultations et soins. Déplacements pour motifs familial impérieux. Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne liés soit à l’activité physique individuelle, ou aux besoins des animaux de compagnie. Convocation judiciaire ou administrative. Participation à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité.

Malgré cela, des milliers de frontaliers continuent à venir travailler en Suisse. J’ai voulu savoir comment cela se passait à la frontière.

Dans une voiture immatriculée française, munie de cette autorisation dûment signée, mon ami et moi nous sommes approchés de la frontière de St-Gingolph vers 6h30. La veille, nous avons envisagé différents scénarios au cas où les gardes-frontières ne nous laisseraient pas passer, ou si on se faisait arrêter par la police sur le sol français. Les informations reçues à ce stade étaient tout simplement que les frontières avec la France étaient fermées. Le président Macron avait décrété le 17 mars qu’elles étaient bouclées aux limites de l’Union européenne. Mais le voisinage a ses accommodements.

Nous avons croisé un certain nombre de voitures françaises venant travailler sur le sol Suisse, tôt dans cette matinée. Nous étions en revanche les seuls, l’unique voiture, dans le sens inverse. Dix mètres avant le poste frontière, avec un petit battement de cœur, on essayait de comprendre ce qui se passait. Et on a dû se rendre à l’évidence que rien ne se passait du côté des gardes-frontière français. Ils n’étaient pas présents! Donc libre passage. Tandis que du côté Suisse, les douaniers ont aménagé un petit zigzag pour obliger les frontaliers à ralentir afin de pouvoir, au moins, jeter un œil à l’intérieur de la voiture.

Nous voilà donc en route pour aller faire les courses en France. Durant trois heures nous avons roulé: on s’est arrêté dans une boulangerie pour un bon croissant, on est passé chez les «producteurs du terroir», allé à l’Intermarché, fait également une halte devant l’hôpital de Thonon pour voir s’il y avait de l’agitation – non, très calme -, puis nous sommes retournés vers St-Gingolph. Durant tout ce temps, nous n’avons aperçu aucun policier, aucune voiture de police.

A la frontière, un seul douanier suisse était présent à 11h00. Il nous a arrêtés et demandé nos papiers. Ce garde-frontière, ne portant ni masque, ni gants, a pris nos documents, les a regardés, nous les a retournés, puis nous a laissés passer.

Pas de douaniers français aux postes frontières © Sarah Dohr

Drôle de vérité que les frontières sont fermées. Inquiétant de voir ce douanier sans protection qui, les mains nues, tripote tant de papiers.

Désireux de vérifier si ce cas d’ouverture était exceptionnel ou pas, nous sommes partis à Genève pour passer la grande frontière de Bardonnex. Sur l’autoroute, deux panneaux assurent «une sortie restreinte vers F, D, I, A». Avertissement que le passage vers la France n’est probablement pas possible. En chemin, nous nous sommes arrêtés à l’aéroport. De l’extérieur, un sentiment d’abandon m’a saisie.

La Gare de Genève, déserté et lugubre. © Sarah Dohr

L’aéroport, qui d’habitude bat son plein jour et nuit, apparaît clos, silencieux, lugubre. On s’est arrêté sur le parking de courte durée et on a fait un tour à l’intérieur. Tout est fermé, les bistrots, les magasins, le Food center, la terrasse d’observation. Seulement une ligne du scanner est resté ouverte avec trois employés qui eux, non plus, ne portaient pas de masques, pas de gants et qui visiblement attendaient les voyageurs. J’ai vu sur les tableaux d’arrivées et départs, étrangement, trois vols provenant de ou partant à Londres, Paris et Francfort. Pourquoi pas vers ailleurs? Deux des centres bancaires les plus importants de l’Europe sont toujours accessibles via le transport aérien. Et Paris, centre d’épidémie en France qui se trouve sous confinement aussi. Cela laisse songeur.

Vers quel foyer d’infection est-il préférable de s’envoler depuis Genève? © Sarah Dohr

L’autoroute nous amène à la grande douane autoroutière de Bardonnex, il est 15h passées. Les gardes-frontière Suisses sont visibles de loin avec leurs voitures bleu foncé, leurs habits de mêmes couleurs avec les bandeaux jaune fluo. A notre grande surprise, il n’y a, de l’autre côté, non plus aucun douanier français! Libre passage, une fois de plus, vers la France. D’accord! On a fait le tour sur l’autoroute pour ensuite rentrer en Suisse par l’autre grande douane de Thônex-Vallard. Même scénario: aucun garde-frontière français. Uniquement deux douaniers suisses qui nous ont demandé nos cartes d’identité et à mon ami son permis de travail suisse.

L’histoire la plus incroyable, nous l’observons à la gare de Cornavin: devant la Migros fraichement installée, une queue s’est formée dehors avec les gens voulant entrer pour faire quelques courses. Tous à deux mètres de distance. Une femme en a poussé une autre, ce qui s’est terminé par une bagarre à cheveux tirés, pour de vrai! Le vigile devant la Migros est intervenu et les a séparées. Une des dames a appelé la police. Qui n’a pas tardé à arriver: trois policiers dans une voiture banalisée. Ils questionnent la femme, l’écoutent et ne tiennent aucune distance de sécurité. Ils ne portent pas non plus de masques, pas de gants. Dix minutes après, arrivent trois policiers des CFF, équipés de pistolets et matraques, pas de gants, pas de masques. Suivent trois hommes de l’entreprise Securitas. Nous étions vraiment très surpris de voir cette arrivée en masse d’agents, sans protections et ne respectant pas entre eux l’éloignement demandé de deux mètres.

Des agents de sécurité et des policiers, tous sans aucune protection sanitaire et ne respectant pas les distances de sécurité. © Sarah Dohr

Après cette journée, j’avoue que je suis troublée. Nos forces de l’ordre, sur le terrain et à la frontière, quelles instructions de sécurité ont-elles reçues? N’avons-nous pas un virus dangereux qui nous menace et nous approche facilement? Ou est-ce que, finalement, ce virus ne serait pas bien dangereux pour les personnes en bonne forme physique? En tout cas, le comportement de nos forces de l’ordre l’insinue.

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