Comment faire le pied de nez à l’Europe sans en avoir l’air

Publié le 4 janvier 2020
Les déclarations de fin d’année des hauts dignitaires de la Confédération retiennent peu l’attention des médias suisses. Et sont totalement ignorées à l’étranger. Dommage: elles donnent une bonne idée de la manière dont on empoigne, ou pas, les sujets internationaux. Ueli Maurer, président sortant, s’est dévoilé plus qu’il n’est d’usage. Simonetta Sommaruga qui lui succède se révèle aussi, dans un tout autre registre.

«L’UE n’existe pas. Ou si, elle existe. Cela dépend de l’interlocuteur avec qui on en parle…» Cette phrase ahurissante du conseiller fédéral UDC Ueli Maurer lors de sa conférence-bilan s’inscrit plus dans le catéchisme de son parti que dans la hauteur d’un propos présidentiel. Il n’ignore pas le sujet, il le dégonfle. «D’ailleurs, l’importance de l’UE va pour nous en diminuant, surtout après le Brexit.» Son arrière-pensée: c’est à la Grande-Bretagne hors de l’Europe, aux Etats-Unis, à la Chine que nous donnons désormais la priorité de notre attention. Et tant pis si les chiffres du commerce helvétique contrarient cette affirmation. La condescendance boudeuse du président suisse aurait de quoi froisser nos voisins. Mais ils s’en moquent.

L’accord-cadre reviendra sur le tapis quoi qu’en pense ce bougon prétentieux.
Maurer s’est vanté d’avoir beaucoup voyagé, en particulier à Washington, à Pékin et en Arabie saoudite. «Nous sommes allés chercher des alliés», a-t-il déclaré.  Des alliés? Dans quelle guerre? Dans la fronde anti-européenne? Sans doute. Mais bien plus que cela. Le ministre des finances a expliqué que le grand danger, c’est la volonté de l’OCDE d’amener les multinationales à payer leurs impôts là où ils font leurs affaires et non plus transférer leurs bénéfices sous les cieux fiscaux les plus favorables. Ce qui ne ferait pas le beurre des géants helvétiques. Maurer cherche donc des soutiens pour s’opposer à cette idée qu’il juge funeste ou, dans une formule plus diplomatique, «trouver une solution raisonnable». Cela dit ouvertement, avec une bonhomie qu’il sait convaincante auprès de ceux qui veulent d’abord se rassurer. Les Européens favorables au projet – les Français ont déjà commencé à le mettre en oeuvre – en prennent pour leur grade, mais pas seulement eux. 

Quant à la présidente Simonetta Sommaruga, elle se montre plus aimable: «Nous allons bien si les autres vont bien.» Cela ne mange pas de pain. Enfin si… puisque la socialiste bernoise, dans sa boulangerie de quartier, a longuement fait l’éloge de la miche et des paysans qui produisent le blé. Pas un mot sur les enjeux internationaux. Rien sur l’Europe. Pas un mot non plus d’ailleurs sur la détresse sociale et les soucis de la classe moyenne chez nous.

Ce discours, le plus gentillet jamais entendu dans ces circonstances, donne l’image d’une Suisse tranquille, bon enfant, satisfaite et centrée sur elle-même: le cocon. 
Problème: les cocons les plus feutrés sont parfois secoués par les vents, attaqués de l’extérieur. Et puis tous les Suisses n’ont pas envie d’être considérés comme des larves. 

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