Ce qu’annonce le triomphe de Boris

La victoire spectaculaire des conservateurs? Elle est due au ras-le-bol devant les atermoiements, à une adhésion de principe au Brexit et à la campagne catastrophique du Labour. Pourtant rien n’est joué. Quel sera demain le lien entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne? Personne n’en sait rien. Tout reste à négocier. Et comme les Suisses le savent, ce n’est pas simple. Plus préoccupant encore: quel visage économique et social donnera à ce pays ce Premier ministre imprévisible? Il a certes promis monts et merveilles aux plus pauvres pour l’emporter. Ceux-ci ont bien des raisons de se méfier. Un cap franchement néo-libéral est bien plus probable.
Inutile de craindre ou d’espérer une volonté sécessionniste des Ecossais et des Irlandais du nord, écoeurés par la tournure des événements. Les premiers ne sont pas près de sortir du Royaume-Uni et d’entrer dans une Union européenne qui craint par dessus tout de redessiner les frontières. Les seconds devront s’y faire: la partie nord de l’île restera de fait et à bien des égards plus proche de leur voisin du sud intégré à l’Europe que de la mère patrie.
Ce qui s’annonce plutôt, c’est le triomphe des plus fervents capitalistes. Moins de règles sociales, moins de normes qualitatives et environnementales, plus de freins aux géants du type GAFA, rapprochement avec la vision américaine des affaires et du monde. Ce ne sera pas immédiat car la période de transition sera longue et mouvementée. Si un accord est conclu sur l’accès au marché européen, ses principes fondamentaux devront être reconnus. Mais appliqués? Un Boris Johnson ne se gênera pas de faire des concessions aux Européens et ensuite, de les appliquer de travers. Si la Commission de Bruxelles ne se montre pas d’une fermeté et une vigilance absolues, ce sera vite l’embrouillamini. Tout indique que les Etats membres ne se laisseront pas mener par le bout du nez. Ils savent que la Grande-Bretagne, même après son départ, peut ébranler leur construction communautaire. Beaucoup tremblent à l’idée qu’elle s’installera dans une méchante rivalité en offrant un paradis fiscal aux entreprises internationales. «On ne veut pas d’un concurrent déloyal!» clament déjà le président Macron et la chancelière Merkel.
Les commentaires à la nouvelle apportés par les lecteurs suisses, surtout outre-Sarine, font apparaître chez beaucoup une sorte de jubilation: les Anglais sortent, bravo, cela veut dire que nous avons raison de rester en dehors. Courte vue. Les inévitables négociations entre la Grande-Bretagne et l’UE qui dureront des mois et des années n’inciteront nullement les Européens à se montrer plus favorables aux sempiternelles demandes de souplesse des Suisses.
Autre leçon de ce scrutin: la gauche n’a aucun intérêt à rester dans l’ambiguïté. Le triste Corbyn, chef du parti travailliste, se déclarait «neutre» sur la principale question qui préoccupait la population. La claque a été retentissante, historique. Il faut dire que son programme dogmatique sur les nationalisations (jusqu’à l’interdiction des écoles privées!) ne l’a pas aidé chez les «bobos» pro-européens des beaux quartiers. Et n’a pas attiré les couches populaires du nord de l’Angleterre, séduites par le côté carré, sinon simpliste, de la campagne de Johnson: «Get the Brexit done!», ça claque. Cela tranche avec la mélasse de Corbyn.
Les socialistes suisses qui eux aussi ne disent ni oui ni non à l’accord institutionnel se trouvent très malins à ce jeu. Il leur en a peut-être déjà coûté. Si demain ils ne se décident pas, leur dégringolade se poursuivra. Comme celle du Labour que sa perte de crédibilité empêchera même de s’affirmer comme une solide force d’opposition.
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