Idéaux engloutis

Publié le 24 septembre 2018
Elle est là devant nos yeux, présente comme tout droit sortie de l'écran. Béatrice Dalle, égérie de Jean-Jacques Beneix, en jeune effrontée de «37.2°, le matin». Elle avait explosé de toute sa classe en 1986 de son anticonformisme, elle n'a pas beaucoup changé en privilégiant les travaux sur l'exploration des marges de la société. Elle était vendredi avec Virginie Despentes et le groupe Zerö pour présenter «Pasolini».

En 2018, à Pully, 43 ans après la mort du poète et réalisateur marxiste italien Pier Paolo Pasolini, il y a des mots qui résonnent encore fortement aujourd’hui. Ceux de Pasolini claquent, à l’heure où Matteo Salvini, le leader de la Lega et chef du ministère de l’intérieur italien, attise la haine anti-migrants chez lui. Deux époques, mais un même symbole d’une Italie qui se durcit, qui dérape.
On adore cette voix forte et grave de l’auteure Virginie Despentes scandant un texte noir et critique (daté de 1975) de l’écrivain portant sur les soubresauts d’une société aux valeurs abandonnées. Le fléau que Pasolini décrit est la mutation d’une bourgeoisie unie, rejointe par les prolétaires anciennement compagnons de la lutte contre les fascistes et les catholiques. La raison de cette convergence idéologique et matérielle, de ce conformisme désolant est l’apogée du consumérisme. Le désir de posséder et de jouir de privilèges individualistes bien plus poussés. Le «caractère totalitaire», la «fausse permissivité» qu’engendre cette métamorphose sonnent juste dans une société italienne où les valeurs sociales semblent avoir été substituées par le ras-le-bol de l’étranger.
Béatrice Dalle et Virginie Despentes s’appuient sur la musique lugubre et belle, dense et violente (des vagues de clavier tendance industrielle s’entrechoquent sur des rythmes profonds de batterie et des «volutes asthmatiques» de guitare électrique) du groupe Zerö, l’alliage des mots, des sons et des sens est célébré dans une salle chauffée à blanc. Les voix des comédiennes s’entremêlent avec grâce dans la deuxième partie de ce «Pasolini» ensorcelant. On rentre alors dans le flot du show comme absorbés, fascinés... On suffoque comme dans une étreinte qui s’éternise et part lentement de travers.
«Pasolini» par...

Ce contenu est réservé aux abonnés

En vous abonnant, vous soutenez un média indépendant, sans publicité ni sponsor, qui refuse les récits simplistes et les oppositions binaires.

Vous accédez à du contenu exclusif :

  • Articles hebdomadaires pour décrypter l’actualité autrement

  • Masterclass approfondies avec des intervenants de haut niveau

  • Conférences en ligne thématiques, en direct ou en replay

  • Séances de questions-réponses avec les invités de nos entretiens

  • Et bien plus encore… 

Déjà abonné ? Se connecter

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Les corps, ces petites choses élastiques et dociles

Il arrive qu’un spectacle suscite des songeries qui traînent longtemps dans nos têtes. L’autre soir au théâtre de l’Arsenic à Lausanne, la chorégraphe Nicole Seiler s’amusait – elle en parlait avec légèreté à la radio – à mener le bal à l’aide de l’intelligence artificielle.

Jacques Pilet
Accès libre

Une «glassroom» pour raconter ambiguités et tragédies de l’Histoire

Une dramaturgie et une mise en scène très soignées et efficaces confèrent à «The Glass Room» des qualités artistiques indéniables. L’ironie, le grotesque et la dérision permettent d’éclairer dans cette pièce de large pans de l’histoire collective iranienne. La pièce privilégie la longue durée pour évoquer les antécédents, tenants et (...)

Accès libre

La pitoyable prestation du président de l’ASF

Sur le plateau du Téléjournal de la RTS, Dominique Blanc, qui est à la tête de l’Association Suisse de Football, a expliqué pourquoi il est important que l’équipe suisse ne boycotte pas la Coupe du monde qui aura lieu au Qatar: parce que celle-ci permet d’œuvrer à la promotion des (...)

Accès libre

Le théâtre se joue au téléphone

Comme de nombreuses activités artistiques, le théâtre a également été placé en quarantaine pour contenir l’expansion du Covid-19. Pour faire face à cette situation, certaines compagnies ont établi une relation avec le public à travers des monologues, des poèmes et des textes réalisés ad hoc, récités sur une ligne téléphonique. (...)

Accès libre

Augustin Rebetez et l’art hilare

Depuis deux ans, le plus international des jeunes artistes helvétiques mène une vie de ping pong entre la Suisse et divers points de la planète. Son univers peuplé d’un bestiaire végétal et teinté du mystère jurassien touche à l’universel. Il fait halte à Vidy avec «Voodoo Sandwich», performance excessive et (...)

Heureuse Veveysanne!

Heureuse et chanceuse parce que je vis au-dessus de l’hôpital Samaritain à Vevey. À dix minutes à pied du centre-ville. Assez loin du tohu-bohu de la Fête des Vignerons qui a lieu, comme tout le monde le sait, une fois toutes les générations. Tous les soirs, les chants, les cors (...)

Accès libre

Les trois fois rien de Thomas Luz

Un spectacle avec presque rien, «Girl from the Fog Machine Factory» du musicien metteur-en-scène zurichois, Thomas Luz, est d’une irrésistible fraicheur. A l’instar de l’Arte Povera des années soixante, il invente un «teatro povero» avec trois fois rien.

Et l’opérette, ça vous chante?

Du 11 au 20 janvier prochains, à la Grange de Dorigny, se donnera la première, en création, d’une opérette du compositeur Richard Dubugnon, sous le titre de «Jeanne et Hiro». A peine deux mois après la création du «Mystère d’Agaune», oratorio salué par d’aucuns comme un chef-d’œuvre, et la présentation (...)

Ali Baba revu et sublimé!

L’histoire d’Ali Baba ne date pas d’hier et a déjà été accommodée de mille et une manières. En opérette (1), en bande dessinée (2) et, hélas! serais-je assez tenté d’ajouter, en films aussi (3). Autant dire qu’il est nécessaire de posséder un indéniable talent pour parvenir à la rendre encore (...)

Accès libre

La culture queer à l’heure des L.G.B.T.Q.I.A.

Klaus Nomi Projekt, une œuvre poético-musicale sur une des premières égéries queer à disparaître du SIDA en 1983, séduit par sa nostalgie rageuse. L’écrivain/metteur-en-scène Pierre Lepori réunit un pool de talents dans le dessin, le jeu et la musique pour livrer un portrait imaginaire de l’icône happée à l’âge de (...)

Accès libre

La chasse dans sa grotesque beauté

Dans «Actéon», un spectacle qui mélange les langages scéniques, le chorégraphe Philippe Saire s’interroge sur le rapport brutal à la chasse de l’homme-animal. Les «Métamorphoses» d’Ovide lui viennent en aide avec le mythe d’Actéon, dont il préserve l’étrange ambiguïté.

L’aéroport de Falk Richter dans une grange de ferme

Ils sont une quinzaine sur scène pour représenter la vie de Joy et Tom ainsi que tous les hommes d’affaires en cravates, les employées d’aéroport en talons, les personnes stressées ou celles qui n’ont pas le temps d’aimer. Ils sont une quinzaine sur scène: tout simplement pour dépeindre la frénésie (...)

Les six pompes, entre poésie et violence intellectuelle

Les derniers comédiens, jongleuses, performeuses ou équilibristes de la plage des six pompes rangeront leur scène et réempaquèteront leur univers au plus tard demain, ultime jour du festival de rue à La Chaux-de-Fonds. La plage, c’est une dizaine de scènes éparpillées dans la ville et des performances extrêmement variées; des (...)

Accès libre

Un «Oups!», et on se marre

De toutes choses, mieux vaut en rire qu’en pleurer: depuis belles lurette, à l’enseigne du théâtre Boulimie à Lausanne, le tandem Frédéric Girard/Kaya Güner a fait sienne ce dicton qui permet d’affronter chaque cramine de novembre avec un peu moins de dépit. «Oups!», donc, leur dernière production maison, fait rire (...)