Une loi qui dit la vérité sur Israël

Publié le 30 juillet 2018

Israël, réservé aux Juifs. – © DR

La nouvelle loi adoptée à une courte majorité par le Parlement israélien le 18 juillet est «d’une portée historique» selon le Premier ministre Netanyahou. Elle réduit encore les droits des Arabes établis dans le pays (un cinquième de la population) et renforce l’appui aux colonies en Cisjordanie occupée. Des protestations internationales s’élèvent. Mollement. Mais c’est en Israël même que ce texte suscite les plus vives réactions. (Retrouvez le texte en anglais à la fin de l'article.)


Avec infosperber, nous publions ici l’article du grand journaliste Gideon Levy, de Haaretz


La Knesset s’apprête à promulguer l’une de ses lois les plus importantes, et la plus en phase avec la réalité. La loi de l’Etat-nation précisera le terme vague de nationalisme israélien, ainsi que la nature du sionisme actuel. Elle va également mettre fin à la vaste plaisanterie qui voudrait qu’Israël soit «juif et démocratique». Une combinaison qui n’a jamais existé et ne l’aurait jamais pu, à cause de la contradiction entre les deux valeurs qui ne peuvent être liées sans mentir.

Si l’Etat est juif, il ne peut pas être démocratique, puisqu’il ne considère pas l’égalité des droits entre les citoyens. S’il est démocratique, il ne peut pas être juif, puisqu’une vraie démocratie ne peut pas prévoir des privilèges basés sur l’appartenance ethnique. Du coup, la Knesset a tranché: Israël est juif. Israël s’autoproclame Etat-nation du peuple juif – pas l’Etat de ses citoyens, ni l’Etat des deux peuples qui y vivent – et a, de fait, cessé d’être une démocratie égalitaire, pas seulement en pratique, mais également en théorie. C’est pourquoi cette loi est si importante. Il s’agit d’une loi sincère.

Le tumulte qui s’est élevé autour du projet de loi avait pour but d’entretenir la politique d’ambiguïté nationale. Le président et le procureur général, prétendus gardiens de la décence, ont protesté et ont reçu le soutien des libéraux. Le Président s’est écrié que cette loi représenterait «une arme dans la main des ennemis d’Israël» et le procureur général a mis en garde contre ses «répercutions internationales» (…)

Leur opposition était basée surtout sur la crainte de voir Israël ridiculisé aux yeux du monde. Cependant, le président Reuven Rivlin s’est élevé d’une voix forte et courageuse contre la clause qui autorise  désormais les communes à examiner les résidents et leur attitude à l’égard du régime avant d’autoriser leur admission. Mais la plupart des libéraux étaient simplement horrifiés à l’idée de voir la réalité explicitement formulée dans la loi. 

Des années d’hypocrisie

Mordechai Kremnitzer a dénoncé en vain, dans Haaretz, un projet de loi qui «déboucherait sur une révolution, pas moins. Cela sonnerait le glas d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique.» Il a ajouté que le projet de loi ferait d’Israël «un leader parmi les pays nationalistes tels que la Pologne, la Hongrie», comme si cela n’était pas déjà le cas depuis un bon moment. En Pologne et en Hongrie, il n’existe pas de tyrannie spécifique sur les droits d’une minorité. Ce qui est devenu une réalité permanente et une part indissociable de la façon dont cet Etat et son régime opèrent. Et cela n’est pas près de s’arrêter.

Toutes ces années d’hypocrisie étaient confortables. C’était sympa de se dire que l’apartheid se cantonnait à l’Afrique du Sud, puisque là-bas tout était ancré dans des lois raciales que nous n’avions pas. Dire que Hébron, ce n’est pas l’apartheid, que la vallée du Jourdain non plus et que l’occupation n’est pas un principe. Dire que nous étions la seule démocratie dans la région, malgré les territoires occupés.

C’était confortable d’affirmer que, depuis que les Arabes israéliens pouvaient voter, nous étions une démocratie égalitaire. De souligner le fait qu’il existait même un parti arabe, même s’il n’avait aucune influence. De revendiquer le fait que les Arabes pouvaient être admis dans les hôpitaux juifs, étudier dans les universités juives et vivre où bon leur semblait.

Vérités qui dérangent

Nous sommes si ouverts. Notre Cour suprême, dans l’affaire Kaadan, a statué en faveur d’une famille arabe désireuse d’acheter une maison à Katzir, après des années de litiges et d’esquives interminables. A quel point faut-il que nous étions tolérants pour permettre aux Arabes de parler l’arabe, qui est une langue officielle. Cette dernière assertion tient d’ailleurs de la fiction: l’arabe n’a jamais été traité le moins du monde comme une langue officielle, à la façon par exemple du suédois en Finlande, où la minorité est bien inférieure à la minorité arabe ici.

C’était pratique d’ignorer que les terres appartenant au Jewish National Fund, qui inclut la plupart des terres de l’Etat, étaient réservées aux Juifs – avec la Cour suprême progressiste qui défend ce point de vue – et de clamer que nous sommes une démocratie. C’était bien plus agréable de nous voir comme des défenseurs de l’égalité.

Désormais, une loi va dire la vérité. Israël est pour les Juifs uniquement, c’est officiel. L’Etat-nation du peuple juif, non de ses résidents. Ses Arabes sont des citoyens de seconde zone, quand ses Palestiniens sont insignifiants, inexistants. Leur sort est déterminé à Jérusalem, mais ils ne font pas partie de l’Etat. C’est plus facile comme ça pour tout le monde.

Il subsiste cependant un petit problème avec le reste du monde, ainsi qu’avec l’image d’Israël, que cette loi va contribuer à ternir d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas bien grave. Les nouveaux amis d’Israël seront fiers de cette loi. Pour eux, Israël devient un lumineux exemple parmi les nations. Quant aux gens qui ont une conscience, d’un bout à l’autre de la planète, ils connaissent déjà la vérité et ont du mal à l’avaler depuis longtemps. Sera-ce un arme pour le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions)? Sans doute. Israël l’a mérité.

Gideon Levy, né en 1953 à Tel-Aviv, est un journaliste et écrivain israélien, membre de la direction du quotidien Haaretz.


Pour lire le texte en anglais, c’est par ici!

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