La folie internationale de l’armement en chiffres

Publié le 30 mai 2025
2024 a été marquée par une augmentation sans précédent des dépenses militaires, la plus haute depuis la fin de la guerre froide. Environ 80 % des dépenses ont été effectuées par 15 pays et plus de la moitié par ceux de l'OTAN. En tout, 2700 milliards de dollars ont été dépensés pour l’armement, alors que 17 milliards suffiraient à mettre fin à la crise alimentaire mondiale.

Heinrich Frei et Martina Frei, article publié le 25 mai 2025 sur Infosperber, traduit et adapté par Bon pour la tête 


Jamais depuis 1990 les gouvernements n’ont dépensé autant d’argent pour les armes et le matériel de guerre: en 2024, 7,1 % de toutes les dépenses publiques mondiales ont été investies dans la défense (potentielle) et/ou l’attaque. Cela représente environ 0,92 dollar US par personne et par jour.

A titre de comparaison, environ 690 millions de personnes, soit environ 8,5 % de la population mondiale, vivent dans une pauvreté extrême. Ils disposent de moins de 2,15 dollars par jour.

Selon le «Stockholm International Peace Research Institute» (Sipri), l’année 2024 a été marquée par une augmentation sans précédent des dépenses militaires, la plus forte hausse par rapport à l’année précédente depuis la fin de la guerre froide. Les dépenses militaires mondiales ont augmenté de 9,4 % par rapport à 2023, pour atteindre désormais 2718 milliards de dollars américains. C’est ce qu’indique le Sipri dans un rapport récent sur les «Tendances des dépenses militaires mondiales».

Près de la moitié de cette somme a été payée par les citoyens américains et chinois, les Etats-Unis dépensant 3,2 fois plus que la Chine pour les armes et autres équipements militaires. Environ 80 % des dépenses militaires mondiales sont financées par la population de 15 pays.

Selon le Sipri, les 32 pays membres de l’OTAN ont dépensé 1506 milliards de dollars pour leur armée l’année dernière. Cela représente 55 % des dépenses mondiales. (Ce montant diffère légèrement des chiffres officiels de l’OTAN en raison de méthodes de calcul sensiblement différentes). A titre de comparaison, l’ensemble des pays africains ont contribué à hauteur de 1,9 % (environ 50 milliards de dollars) aux dépenses militaires mondiales.

Estimation des dépenses militaires par habitant en 2024


Source des chiffres de population: Wikipédia; source des dépenses militaires: Sipri. Le graphique dans une résolution légèrement supérieure ici. © Heinrich Frei

Des conséquences sociales considérables

«Plus de 100 pays à travers le monde ont augmenté leurs dépenses militaires en 2024. Les gouvernements accordant de plus en plus la priorité à la sécurité militaire, souvent au détriment d’autres postes budgétaires, les compromis économiques et sociaux pourraient avoir des répercussions considérables sur les sociétés dans les années à venir», explique Xiao Liang, chercheur au sein du programme du Sipri sur les dépenses militaires et la production d’armes.

La France a par exemple évalué la possibilité d’utiliser l’épargne privée pour soutenir l’industrie française de l’armement. Le Royaume-Uni prévoit de réduire son aide au développement. Le Japon envisage d’augmenter les impôts sur le revenu, les entreprises et le tabac. D’autres pays ont créé des fonds supplémentaires ou emprunté massivement pour financer leurs dépenses.

L’Allemagne au quatrième rang mondial de la militarisation

«Pour la première fois depuis la réunification, l’Allemagne est devenue le pays d’Europe occidentale qui dépense le plus pour son armement grâce au fonds spécial de 100 milliards d’euros annoncé pour 2022», mentionne Lorenzo Scarazzato, chercheur au sein du programme du SIPRI sur les dépenses militaires et la production d’armements. «Les récentes politiques menées en Allemagne et dans de nombreux autres pays européens indiquent que l’Europe est entrée dans une phase de dépenses militaires élevées et croissantes qui devrait se poursuivre.»

L’année dernière, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie ont dépensé ensemble 273 milliards de dollars pour leur armée, soit 1,8 fois plus que la Russie. Avec des dépenses militaires de 88,5 milliards de dollars, l’Allemagne occupait la quatrième place mondiale en 2024. Ce calcul n’est toutefois valable que si l’on tient compte dans le budget allemand des livraisons d’armes à l’Ukraine. Si l’on compte en revanche toutes les armes livrées à cette dernière par d’autres pays, c’est alors l’Ukraine qui se place au quatrième rang mondial en 2024, avec 125 milliards de dollars de dépenses militaires.


Les 15 pays ayant les dépenses militaires les plus élevées en 2024. © Sipri 2024

Estimations incertaines pour la Russie

Selon le Sipri, les dépenses militaires des États-Unis s’élevaient à 997 milliards de dollars en 2024, celles de la Russie étant estimées à 149 milliards de dollars. Toutefois, le Sipri précise que le budget militaire de la Russie est devenu «de plus en plus opaque» et que le pays dépense probablement plus. Selon les estimations, 19 % de toutes les dépenses du gouvernement russe ont été consacrées à l’armée en 2024.

Avec environ 55 employés, le «Stockholm International Peace Research Institute» est le comptable des guerres, des dépenses militaires et des dépenses d’armement. Le Sipri est financé pour moitié par le gouvernement suédois. En 2024, celui-ci a autorisé l’industrie suédoise de l’armement à exporter pour 29 milliards de couronnes (3 milliards de dollars américains) de matériel de guerre, soit une augmentation de 63 % par rapport à 2023.

Selon le directeur du Sipri, Dan Smith, de nombreux pays constateraient «de graves lacunes dans leur capacité de défense». Il estime que le niveau actuel de réarmement est «raisonnable», une déclaration inhabituelle de la part du directeur d’un institut international de recherche sur la paix.

Il faudrait 17 milliards de dollars pour mettre fin à la crise alimentaire

Si seulement une fraction des dépenses militaires mondiales, qui s’élèvent à 2718 milliards de dollars, était consacrée à l’éducation, aux soins médicaux et aux retraites, personne ne souffrirait plus de la faim. Tous les enfants du monde pourraient aller à l’école. Tout le monde pourrait bénéficier d’une aide en cas de maladie ou de vieillesse.

Pourtant, le financement du Programme alimentaire mondial (PAM) est en baisse. Ce dernier a récemment demandé environ 16,9 milliards de dollars pour faire face à l’aggravation de la crise alimentaire. Un montant qui correspond à peu de chose près à ce que les gouvernements du monde entier dépensent en deux jours et demi pour leur armée. En 2024, des déficits de financement ont contraint le PAM à réduire ses activités et son soutien aux personnes les plus vulnérables, avec des conséquences mortelles.

La Banque mondiale, elle, parle d’un arrêt de la lutte contre la pauvreté. Selon le PAM, la faim continue de progresser: 343 millions de personnes dans 74 pays sont aujourd’hui touchées par une insécurité alimentaire aiguë, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. Parmi elles, 1,9 million de personnes sont au bord de la famine. La situation est particulièrement cruciale dans des régions telles que Gaza, le Soudan, le Soudan du Sud, Haïti et le Mali.

Jusqu’à présent, les États-Unis étaient de loin le principal soutien du PAM et la décision du gouvernement américain de réduire son aide aux organisations des Nations unies a bien entendu des conséquences catastrophiques.


Heinrich Frei est membre du comité directeur de Swisso Kalmo et s’engage en faveur d’une politique de paix durable.

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