La droite américaine interdit de plus en plus de livres dans les écoles

Publié le 14 juillet 2023
Une fièvre d'interdiction des livres règne aux Etats-Unis. Certains livres sont exclus des bibliothèques et de l'enseignement scolaire.

Pascal Sigg, publié sur Infosperber le 13 juillet 2023, traduit par BPLT


De plus en plus d’Etats américains veulent exercer un contrôle idéologique sur l’éducation et interdisent certains livres. Ce faisant, des titres sont tout simplement bannis des bibliothèques et de l’enseignement scolaire. Les livres sont certes toujours disponibles sur le marché, mais ils ne peuvent plus être enseignés à l’école ou prêtés aux élèves et aux usagers des bibliothèques.

L’année dernière, une statistique du PEN America, une organisation non gouvernementale qui défend la liberté d’expression dans la littérature, a fait sensation. Au cours du premier semestre de l’année scolaire passée, PEN a constaté une nouvelle augmentation du nombre d’interdictions, écrivait le groupe il y a quelques semaines dans une mise à jour.

Les interdictions seraient le fait d’une petite minorité. Un sondage à grande échelle réalisé fin mars 2022 avait en effet révélé que plus de 70% des parents rejetaient de telles censures et soutenaient les bibliothèques. Les interdictions sont particulièrement nombreuses dans les Etats du Texas, de Floride, du Missouri, de l’Utah, et de Caroline du Sud.

Entre juin 2021 et juillet 2022, PEN a enregistré 2’532 cas d’interdiction de livres. Ces livres ont été écrits par 1’261 auteurs. Parmi eux, de très nombreux ouvrages pour la jeunesse et certains livres d’images. Plus de 5’000 écoles et près de quatre millions d’élèves ont été concernés. Toutefois, seuls les cas signalés directement à PEN ou révélés par les médias ont été pris en compte. Au cours du premier semestre de l’année scolaire qui s’achève, PEN constate une augmentation de 28% des cas.

Dans la plupart des cas, les interdictions visent des thèmes tels que le racisme, l’orientation sexuelle ou les identités de genre. Mais des listes entières de références sont parfois retirées des rayons des bibliothèques à titre préventif, ce qui peut avoir pour conséquence que d’autres domaines thématiques comme la religion ou la mort sont concernés.

En cause: des groupes locaux qui font pression sur les écoles

PEN a indiqué avoir identifié 50 groupes – principalement issus de la droite chrétienne – qui militent pour les interdictions au niveau local et national. La plupart ont été créés en 2021 et huit d’entre eux comptent ensemble plus de 300 sous-groupes locaux. Ces groupes partagent entre eux des listes de livres et de lectures et exercent des pressions sur les commissions scolaires locales.

Des revendications inspirées par un modèle étranger. A l’été 2021, la Hongrie a banni des écoles et des bibliothèques les livres qui traitaient de l’orientation sexuelle. En outre, depuis 2013, la Russie interdit aux enfants d’être en contact avec des représentations neutres ou positives de relations non hétérosexuelles. Le journaliste Andrew Marantz a documenté les nombreux échanges entre la droite chrétienne conservatrice américaine et le gouvernement hongrois de Viktor Orbán. Il a déclaré dans une interview à la radio américaine NPR: «On peut dire que la loi hongroise a été modelée sur le modèle russe».

Jonathan Friedman, l’un des auteurs du rapport PEN, a également attribué en partie la vague d’interdictions au «1619 Project» du New York Times. Ce projet visait à adapter l’historiographie américaine et à placer les conséquences de l’esclavage et les contributions des Noirs américains au centre du récit national.

Le grand projet: un contrôle idéologique de l’éducation

Au cours de l’année scolaire passée, PEN a observé un changement: après les protestations des parents, les autorités des Etats elles-mêmes décident de procéder à des interdictions. «Dans de nombreux Etats, les districts scolaires respectent de nouvelles lois qui leur indiquent quel type de livres est autorisé dans les écoles, par quel processus les nouveaux livres doivent passer pour être autorisés et comment les collections existantes doivent être contrôlées». Selon Friedman, l’interdiction des livres s’est transformée en un projet de grande envergure visant à exercer un contrôle idéologique sur l’ensemble du secteur de l’éducation.

«Les lois introduites visent de plus en plus de nouveaux territoires en ce qui concerne les interdictions et les bannissements. Et elles lient les interdictions à des sanctions sévères. Certaines interdictions sont totalement dirigées contre l’histoire documentée, la pensée critique et même la logique», a expliqué Friedman.

Lors d’un TED talk, ce dernier souligne: «Pour moi, cela ressemble à un pays qui a peur de l’éducation». Des lois vagues, formulées de manière ambiguë, sont efficaces, surtout si les interdictions sont également assorties de sanctions.

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