Guerre et famine au Yémen: la communauté internationale ne sanctionne pas

Publié le 28 avril 2023
La destruction systématique des infrastructures vitales au Yémen avait déjà été documentée par Arte en 2019 avec le reportage «La faim comme arme de guerre». Les organisations humanitaires confirment que ces bombardements étaient contraires au droit international. L'ONU dénonce l'une des plus grandes famines au monde. Bien que les conséquences pour la population déjà pauvre aient été et soient toujours catastrophiques, ni l'ONU, ni l'UE, ni la Suisse n'ont imposé de sanctions. Etat des lieux.

Susanne Aigner, publié sur Infosperber le 24 avril 2023, traduit par Bon Pour La Tête


Au Yémen, depuis le début de l’intervention militaire en mars 2015, des centaines de routes ont été détruites, de sorte que les civils n’ont pas pu fuir assez rapidement les combats ou évacuer les blessés. De nombreuses écoles, marchés, magasins et hôpitaux ont été bombardés. Les malades et les blessés ne pouvaient guère être pris en charge et recevoir des soins médicaux suffisants. Des puits ont été détruits, ce qui explique que près de 16 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. 14 millions de personnes – soit la moitié de la population – sont menacées de mort par la famine. 2,2 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë. Environ 4 millions de personnes ont dû quitter leur domicile. Des centaines de milliers sont mortes dans des combats ou des attaques. Selon l’OMS, 540’000 filles et garçons de moins de cinq ans souffrent de malnutrition sévère mettant leur vie en danger. En raison de l’affaiblissement de leur système immunitaire, ce sont surtout les enfants qui contractent plus souvent le choléra, mais aussi la rougeole, la diphtérie et la dengue. La faim et les maladies ont déjà causé la mort de milliers d’entre eux.

Pour financer la nourriture, l’eau, les médicaments et d’autres prestations d’aide pour environ 17 millions de personnes, 4,3 milliards d’euros sont nécessaires rien que cette année, comme l’ont calculé les Nations Unies et les organisations humanitaires. Or, lors d’une conférence des donateurs qui s’est tenue en février, seuls 1,2 milliards de dollars ont été réunis…

Des attaques ciblées sur l’agriculture et les marchés locaux

Les organisations d’aide et la plate-forme d’investigation disclose.ngo parlent d’une stratégie ciblée: l’Arabie saoudite et ses alliés ont littéralement affamé la population, surtout dans les régions occupées par les Houthis. 30% des attaques aériennes viseraient ainsi clairement des cibles civiles et des infrastructures vitales.

Selon les informations d’Arte, rien qu’entre mars 2015 et février 2019, environ 19’000 attaques de l’armée saoudienne ont été menées sur le territoire. Plus de 11’000 bombes ont touché des cibles dans la production agroalimentaire. Dans le nord-ouest, zone centrale des rebelles Houthis, la coalition arabe a bombardé de manière ciblée 660 fermes, constituant la base de subsistance de la population.

En outre, les avions de combat soutenus logistiquement par les Etats-Unis ont bombardé des citernes et des installations de traitement de l’eau potable. Environ 16 millions de personnes en sont donc privées. C’est également la cause d’une épidémie de choléra dévastatrice qui a touché au moins un million de Yéménites depuis avril 2014. 250’000 personnes en seraient mortes.

Lorsque les combats ont éclaté, de nombreux paysans locaux ont cessé de cultiver leurs terres. Beaucoup ont été expulsés. Lorsque les combats cessent dans une région, la moitié des terres sont en friche, expliquait Mohammed Abdulwahab dans une interview émouvante réalisée en 2020. Ce père de quatre enfants ne savait pas où aller avec sa famille. De plus, il ne voulait pas laisser le bétail mourir de faim. La famille est donc restée à la ferme et s’est battue pour survivre.

Dans les ports et en mer Rouge, des centaines de bateaux de pêche ont été détruits – également une ressource alimentaire importante. Des bateaux, des marchés locaux, dont des marchés aux poissons, ont été bombardés par les airs et par des navires de guerre. En conséquence, l’approvisionnement en denrées alimentaires s’est pratiquement effondré et les prix des aliments ont augmenté de 150%.

En imposant un blocus maritime en mer Rouge, la coalition arabe a tenté d’empêcher la livraison d’armes aux rebelles. Mais elle a également bloqué l’aide humanitaire, le matériel médical et les transports de nourriture. Les ports et les aéroports ayant été détruits ou fermés, les denrées alimentaires et les colis humanitaires n’arrivaient pratiquement plus aux populations. Mais la coalition n’est pas la seule à utiliser la faim comme arme de guerre, les rebelles Houthis s’en sont également rendus coupables.

Des crimes de guerre commis avec des armes provenant de l’UE

A cela s’ajoute une implication abusive des enfants dans le conflit. Ainsi, près de 4’000 garçons mineurs ont été enrôlés comme enfants-soldats. Au moins 12’000 enfants ont été blessés, mutilés ou tués.

Malgré tout cela, des armes et des composants produits en Allemagne pour des avions de combat et un système de combat aérien en réseau ont été envoyés en Arabie saoudite. Rien qu’en 2018, le gouvernement allemand a autorisé plus de 200 exportations d’une valeur de 400 millions d’euros vers l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Au cours des deux dernières années, il a également fourni des armes à d’autres pays de l’alliance comme l’Egypte, le Soudan, le Koweït, Bahreïn et le Qatar.

Selon un rapport de disclose.ngo, la France a également fourni des armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis. Ainsi, 48 pièces d’artillerie mobiles ont été déployées à la frontière de l’Arabie saoudite contre le Yémen. Plus de 400’000 personnes auraient été bombardées par l’artillerie. 70 chars français ont participé à plusieurs offensives sur la côte ouest du Yémen. En outre, la France a produit des systèmes de contrôle pour les missiles guidés dans les avions de combat américains, qui ont été vendus aux Saoudiens. Une frégate française a également participé à un blocus maritime.

Depuis début avril, les représentants des belligérants mènent les premiers pourparlers de paix. Mais des doutes subsistent quant à savoir si ceux-ci mettront réellement fin à la guerre.
Les derniers jours du mois de jeûne du ramadan de cette année ont été marqués par une tragédie humaine dans la capitale yéménite, Sanaa: des centaines de personnes se sont pressées dans la vieille ville pour recevoir des dons en argent. Alors que les dons étaient distribués, des rebelles ont tiré des coups de feu, comme le rapportent des témoins oculaires. Ceci, ainsi qu’une explosion due à un court-circuit électrique, aurait finalement provoqué une panique collective mortelle. Au moins 78 personnes ont perdu la vie, d’autres ont été blessées ou sont en danger de mort.

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