L’effet Dildar: l’Europe obsolète

Publié le 10 février 2023
Il y a une quinzaine d’années, j’essayais de muscler mes mollets et accessoirement mes neurones en jouant parfois au badminton avec de jeunes Asiatiques qui ne boudaient pas leur plaisir de me battre 15 à 0, ou 15 à 4 dans les très bons jours. Il y avait là une étudiante coréenne, devenue aujourd’hui diplomate dans son pays, un Indonésien qui fait carrière dans les organisations internationales, et Dildar, un Indien du Bengale.

Dildar est devenu partenaire-fondateur, avec une poignée de ses compatriotes installés à Londres, Los Angeles, Dakka, Singapour ou Mumbai, d’une entreprise de logiciels de gestion active partout en Asie et forte de 900 employés à ce jour.

J’ai abandonné le badminton depuis longtemps mais Dildar, qui sillonne l’Asie avant de rentrer à Genève de temps en temps pour voir ses filles, suit mes publications sur internet et m’envoie régulièrement des commentaires et des articles de journaux, ou m’appelle sur WhatsApp pour signaler la chronique de tel ou tel commentateur de ce sud global en pleine reconquête d’un nord devenu complètement égocentré. La semaine dernière, entre deux avions et quelques affaires locales à régler, nous avons eu le temps de boire un café pour parler de l’état lamentable (pour nous) et fantastique (pour eux) du monde. 

Il m’avait ainsi envoyé la déclaration du ministre indien des Affaires étrangères qui avait fait le tour du globe (hors Occident) au début de la guerre en Ukraine: «L’Europe devrait commencer à arrêter de penser que les problèmes de l’Europe sont les problèmes du monde et que les problèmes du monde ne sont pas son problème.» Il appelait les Européens à sortir du syllogisme «Ce qui vous concerne ne m’intéresse pas mais ce qui me concerne doit nécessairement vous intéresser.» 

Un conseil qui, huit mois plus tard, n’a toujours pas été entendu.

Mais là n’est pas l’essentiel. Pour lui, l’Europe, Suisse y comprise (à cause de sa gestion incohérente et moralisante de l’immigration, laquelle consiste à ouvrir tout grand ses portes à des assistés potentiels et à les fermer aux gens compétents, estime-t-il en pur réaliste), est obsolète. Elle n’est pas fichue – Dildar n’est pas un complotiste – elle est simplement en train de sortir de l’histoire économique et politique du monde. L’économie du Royaume-Uni est en train d’imploser et son système politique n’est plus capable de former un dirigeant compétent. La France et l’Allemagne sont en voie de détruire leur industrie par dogmatisme atlantiste et se font marginaliser par la Pologne et l’Ukraine. La Suisse a sabordé son rôle de médiation et réduit à néant la Genève internationale en abandonnant sa neutralité tandis que ses banques ont capitulé face aux exigences de l’OCDE, perdant ainsi leurs avantages comparatifs. 

Même les écoles, qui accueillaient naguère la fine fleur de l’élite internationale, sont en déclin, faute d’exigences suffisantes. Dildar éduque ses filles à la dure, de façon traditionnelle, loin du pédagogisme et des théories à la mode. Des bons résultats partout, même en maths, point final. Du coup, il les prépare à étudier ailleurs, aux Etats-Unis, à Singapour ou en Chine, là «où ça se passe».

«Et ça se passe où exactement?» lui demandé-je. (Réponse dans huit jours)

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