A Morges, La Coquette est victime de petites mesquineries politiciennes

Publié le 18 février 2022
Depuis 2018, la guinguette éphémère, installée dans le parc de l’Indépendance, enchante les étés morgiens avec une programmation culturelle éclectique − 200 concerts gratuits! − et un esprit d’ouverture qui attire des gens de tous horizons et de tous âges. La Municipalité de la petite ville vaudoise a décidé que ce trop beau succès populaire devait prendre fin.

C’est un de ces lieux qui enchantent l’été. Une guinguette qui donne plus que jamais des airs de mer au Léman. Qui allège, rend allègre. Depuis 2018, l’été, la Place Louis-Soutter du Parc de l’Indépendance accueille des artistes, des vignerons, des passants, des amoureux, des ivrognes, des enfants, des anciens, des jeunes, des femmes, des hommes, de gauche, de droite, du milieu, hors-milieu. On a déjà pu y voir un pharmacien, une garagiste, un étudiant, une philosophe, un plâtrier-peintre, une philologue, un griot africain, un maraîcher, des poètes en goguette, une poétesse en extase, un qui fait naufrage, une qui fait des ravages, un fabricant de joints, une éditrice, un cracheur de feu, des journalistes, des politiques, des gens fréquentables, d’autres qu’on n’a pas l’habitude de fréquenter. On y boit, on s’y voit, s’y croise, s’y décroise, on y tombe amoureux, chiche, on s’y quitte, c’est la vie, au son d’une trompette, d’une guitare jazzy, d’un accordéon rock, d’un poème, d’une chanson. A La Coquette les accents se mêlent, les langues aussi. C’est gai. On trinque!

C’est ça qui n’allait pas. Trop de vie. Un organisme trop vivant. Trop de joie et de plaisir.

Alors les grincheux s’y sont mis, les jaloux aussi, et les peines-à-jouir. Ça ne va pas, m’sieurs-dames, tant de succès sans recherche de profits financiers. Ça n’est pas assez capitaliste, vous voyez, pas assez laborieux, pas assez mesquin. Faut qu’ça consomme, pas qu’ça s’amuse sans soucis.

Certains restaurateurs ont demandé si les règles étaient respectées, si la concurrence était loyale. Et l’hygiène, nom d’une pipe! Est-ce que tout est bien propre en ordre? Oui, ça l’est, en ordre, et même propre, avec en plus des produits locaux à boire et à manger. Il a donc fallu trouver autre chose pour couper les ailes de La Coquette et des Coquets.

Des bénévoles sans subventions, animés par le plaisir et la passion

Six copains bénévoles, qui ont monté le projet par plaisir et par passion, qui ont géré les demandes d’autorisations, obtenu les permis de construire, bâti, tout ça sans subventions. Trop libre c’t’équipe. Trop indépendante. Sans subventions? Des anarchistes, pour sûr, des gens sur lesquels on n’a pas prise. Qu’on leur coupe la tête!

La suite, vous la connaissez, vous l’avez lue dans les journaux. Une mise au concours pour l’exploitation du lieu avec un cahier des charges calqué sur ce que l’équipe de La Coquette a mis au point depuis 2018, pompé sur leurs idées, copié-collé. Et l’exécutif morgien exécute La Coquette, accorde la concession à d’autres, labellisés La Crique, dont on imagine qu’il se sent plus proche. Sans doute pour une question d’affinité élective, de liens, de réseau. C’est souvent comme ça que ça se passe.

Bref, La Coquette a été dézinguée d’un tir dans le dos, d’un coup en traître. Les Coquets auraient préféré une franche discussion, les cartes sur la table, les yeux dans les yeux. C’est plus leur style à eux, sauf qu’on ne choisit pas les méthodes de ses adversaires.

Plus de 4’000 signatures pour le maintien de La Coquette

Mais ils ont de la ressource, et des amis, des vrais, des soutiens. Leur pétition demande à la Ville «de profiter de la dynamique positive de deux associations en maintenant La Coquette à son emplacement actuel, puisqu’elle possède déjà des infrastructures sur-mesure et un permis de construire adapté pour la Place Louis-Soutter, et en trouvant très rapidement un emplacement pour La Crique: l’ancien stand de tir du Boiron, la plage de la piscine, le Bluard, la Blancherie, le Parc de Vertou ou ailleurs». Une pétition qui a déjà été signée par 4’000 personnes. Le 2 mars, le Conseil communal de Morges se réunit, gageons que le sujet sera évoqué.

La Coquette est un projet associatif généreux, une réussite spontanée. Ce qui s’y passe l’été n’aurait pas pu être programmé à l’avance, planifié, coulé dans le moule d’une politique étriquée. La Coquette s’est faite sans mode d’emploi, l’esprit libre. Des envies communes, des idées, la capacité de faire, suffisamment de générosité pour que chacune et chacun s’y sente bien.

La colère est une passion triste, elle ne va pas habiter longtemps le cœur des Coquets et de leurs amis. Ils sont la vie, ils sont la joie, on redansera sur les tables!


L’auteur de ces lignes ne cache pas qu’il a passé des moments doux à La Coquette, vécu des émotions fortes, qu’il y a déclamé de la poésie salace, débattu de tout et de rien. Il revendique aussi l’amitié qui le lie à l’écrivain et vigneron Blaise Hofmann, un des six fondateurs de La Coquette.

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