Vous reprendrez bien une p’tite guerre ailleurs?

Publié le 3 juin 2022
Fixés sur l’Ukraine, nos regards ignorent d’autres abcès qui ne cessent de s’envenimer, faisant courir le risque d’une autre guerre. Ils sont pourtant fort proches. L’Algérie et le Maroc rivalisent de discours hostiles et de menaces diverses. Avec un acteur européen directement touché, l’Espagne, entraînée dans la polémique au plan diplomatique et mal prise au chapitre de l’approvisionnement en gaz.

Ces deux pays du Maghreb ont depuis longtemps des relations exécrables. Au lendemain de l’indépendance, en 1963, ils se firent même la guerre, connue sous le nom de la «Guerre des sables». Ils s’y disputaient des portions du Sahara, le long d’une frontière floue, cependant admise aujourd’hui. A l’exception d’une entité rattachée à l’Espagne jusqu’en 1975, convoitée et même envahie à cette date par le Maroc qui déborde aussi sur la Mauritanie. Il en résulta une guerre entre 1976 et 1980 entre le Royaume marocain et le Front Polisario, les indépendantistes du Sahara occidental. Conflit dont eurent à s’occuper longuement, jusqu’à ce jour, les Nations Unies et maintes organisations humanitaires. Le Maroc contrôle 80% de ce territoire. Coupé du Nord au Sud depuis les années 1980 par un «mur de défense», comme l’appellent les autorités marocaines qui l’ont érigé, long de 2’700 km, le Sahara occidental compte plus d’un demi-million d’habitants. Au cœur de la rivalité entre Rabat et Alger, et même de la rupture diplomatique entre les deux frères ennemis en août dernier, la région recèle une manne économique. Elle bénéficie d’une façade maritime de 1’000 kilomètres – ses eaux sont parmi les plus poissonneuses du monde – et de sols riches en phosphate, composant principal des engrais, dont les cours flambent en ce moment. 

Cette épine n’a pas fini d’empoisonner les relations entre le Maroc et l’Algérie, et de celle-ci avec l’Espagne qui servait de pivot dans les discussions sur le Sahara occidental. Le gouvernement de Pedro Sanchez vient de se déclarer favorable à un statut d’autonomie proposé par le Maroc. Ce qui a fortement irrité Alger, qui propose plutôt un référendum. 

Les deux pays, d’ordinaire en bonne entente, ont récemment gelé leurs relations diplomatiques. Le groupe pétro-gazier public algérien Sonatrach est un fournisseur important de l’Espagne. Or voici que ces jours Alger menace de fermer le robinet si d’aventure son gaz était réexpédié vers le Maroc, qui en est privé depuis l’an passé. L’imbroglio s’épaissit.

Ajoutons à cela un autre sujet de discorde entre les voisins ennemis du Maghreb. Le Maroc a tissé des liens avec Israël. Les Algériens, restés fermés à une telle réconciliation, défenseurs des Palestiniens, ont cru trouver chez eux, ces derniers jours, des Marocains «agents du Mossad». 

Ces deux pays en bisbille, qui se sont tant de fois accrochés à leur frontière, sont en outre puissamment armés. L’Algérie est au troisième rang des exportations d’armes russes, derrière l’Inde et la Chine. Des équipements sophistiqués, de géolocalisation notamment, lui sont livrés, ainsi que des missiles balistiques à courte portée Iskander-E, des sous-marins de type Kilo, des moyens de transports, des hélicoptères de combat  et des chars T-90. Aide apportée au nom de la menace terroriste, bien réelle du côté de la Libye et au sud du Sahara. Mais pour ne pas se brouiller avec les Européens acheteurs de son gaz et de son pétrole, Alger reste en retrait dans la confrontation entre l’Occident et la Russie. 

Avec un budget de défense de 9,1 milliards de dollars, l’Algérie est le sixième plus grand importateur d’armes au monde. Le Maroc a dépensé 5,4 milliards de dollars pour ses forces armées l’année dernière, soit une augmentation d’environ un tiers par rapport à 2019. Il se classe dans le top 10 mondial pour la part des dépenses militaires dans le PIB; celle de l’Algérie est de 5,6% contre 4,2% pour le Maroc. Celui-ci s’approvisionnant en armes principalement aux Etats-Unis, un peu en France.

Situation à hauts risques donc. Inutile de dire que les populations, de part et d’autre, ont d’autres soucis: la vie chère, l’insuffisance des équipements publics, la violation des droits civiques, la détention, dans les deux pays, de nombreux prisonniers politiques. Mais les appareils militaires sont puissants. Le pouvoir politique est faible en Algérie, moins au Maroc. La tentation peut néanmoins surgir, d’une petite guerre pour détourner l’attention des colères sociales, aujourd’hui réprimées des deux côtés.

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