Un exemple flagrant de désinformation et de non-information

Publié le 3 juin 2022
C'était le 23 mai 2021: sous prétexte qu'une attaque terroriste était prévue à bord, les forces de sécurité biélorusses ont persuadé le pilote d'un avion de ligne de Ryanair, qui se rendait de Grèce en Lituanie, d'atterrir de manière imprévue à Minsk. Là, les autorités ont arrêté le journaliste d'opposition Roman Protassevitch et sa petite amie et ont laissé l'avion poursuivre son vol.

Cet article de Urs P. Gasche a été publié en allemand sur Infosperber.ch le 30 mai 2022


La protestation internationale a été énorme. Selon la base de données des médias suisses, ces derniers ont publié près de 500 articles et reportages télévisés en l’espace de quatre semaines.

Et voici ce qui s’est passé le 12 janvier 2022: un Boeing 737 de la compagnie soudanaise Badr Airlines, en provenance de Khartoum (Soudan) et à destination d’Istanbul (Turquie), a atterri de manière imprévue à Louxor. Là, les autorités ont arrêté Hossam Menoufi Sallam, un étudiant égyptien en ingénierie de 29 ans, membre de l’opposition. Il s’agissait d’une deuxième violation flagrante des règles de l’aviation civile internationale. Les opposants égyptiens ont fait remarquer que «l’atterrissage forcé de l’avion soudanais met en évidence l’étroite collaboration entre l’Egypte et le Soudan, où l’armée a orchestré un coup d’Etat le 25 octobre 2021».

L’écho international et les protestations ont été presque inexistants. Selon la base de données des médias suisses, le seul média à en avoir informé était la NZZ. «La manière dont Sallam a été arrêté rappelle l’arrestation de l’opposant biélorusse Roman Protassevitch», écrivait alors le journaliste de la NZZ Daniel Böhm. On sait que le bras des forces de sécurité égyptiennes est long. Elles ont même réussi à capturer des opposants dans des aéroports étrangers. Les généraux égyptiens entretiennent de très bonnes relations avec les généraux soudanais qui se sont emparés du pouvoir à l’automne 2021.

Dans le premier cas, la supercherie de la Biélorussie, la plupart des médias ont fait leurs gros titres en laissant de côté tout devoir de diligence: le dictateur Loukachenko aurait forcé l’avion de Ryanair à atterrir avec un avion de combat. Ils n’ont pas cité de source pour cette version des faits. Les autorités biélorusses ont démenti avec véhémence l’utilisation d’un avion de combat. 

Le lendemain de l’arrestation de Roman Protassevitch et de son amie à Minsk, le journal télévisé de la SRF a consacré cinq minutes à ce détournement. La correspondante de la SRF, Luzia Tschirky, a expliqué en direct:

«Loukachenko a ordonné d’envoyer un avion de combat contre l’avion de ligne et de le contraindre à un atterrissage d’urgence». Tschirky n’a pas cité de source pour cette déclaration. Elle a poursuivi: «Il me semble clair que Loukachenko n’a pu prendre ce risque que parce qu’il est sûr du soutien de Moscou … La sécurité des passagers aériens n’est apparemment plus garantie dans l’espace aérien biélorusse». La plupart des médias propagèrent la même version.

Seul le rédacteur de la NZZ Andreas Rüesch a fait preuve de diligence et a également informé le 27 mai 2021: «Le rôle joué par l’armée de l’air biélorusse reste nébuleux. Un intercepteur a-t-il forcé le Boeing à changer de cap, comme l’ont rapporté les premiers médias? Une telle version a été diffusée par des représentants de l’opposition biélorusse en exil, comme l’ancien ministre de la culture Pavel Latouchko. Il n’en existe toutefois aucune preuve à ce jour. L’armée biélorusse souligne qu’un avion de combat de type MiG-29 n’a pris son envol qu’après que le pilote de Ryanair a décidé d’atterrir en urgence».

Après la manœuvre de tromperie illégale avec la prétendue alerte à la bombe contre Ryanair et l’arrestation des deux opposants, les gouvernements ont pris des mesures, et ce à juste titre. Plusieurs pays européens ont convoqué les ambassadeurs de Biélorussie. L’UE a décrété une interdiction d’atterrissage pour les compagnies aériennes biélorusses dans tous les aéroports de l’Union.

En Suisse, la conseillère nationale verte libérale Tiana Angelina Moser a exigé une «position claire de la Suisse». L’enlèvement du critique du régime Roman Protassevitch appelle «une réaction forte de la communauté internationale».

En revanche, l’arrestation de l’opposant égyptien Hossam Menoufi Sallam n’a pas suscité de telles réactions. Le fait que «les alliés de l’Egypte à Washington et dans les capitales européennes devraient cesser toute aide militaire et sécuritaire à l’Egypte» est resté un vœu pieux de Human Rights Watch.

En janvier 2022, l’Organisation de l’aviation civile des Nations unies (OACI) a publié son rapport final sur l’atterrissage à Minsk. Il en ressort clairement qu’aucun MiG-29 n’a forcé l’avion civil à atterrir. L’équipage a simplement été invité par radio à atterrir en raison d’une prétendue alerte à la bombe. Après plusieurs demandes de précisions, le pilote n’a décidé qu’au bout de seize minutes d’entamer un atterrissage d’urgence à Minsk.

Sous le titre «Le mystérieux MiG-29 près de Minsk n’a jamais existé», seul Andreas Rüesch a informé en Suisse dans la NZZ du 24 mai sur le rapport final de l’OACI et a constaté: «La légende d’une manœuvre d’interception de l’armée de l’air biélorusse dans l’affaire Protassevitch est tenace». L’événement a été décrit en de nombreux endroits comme un «détournement d’avion» et un «acte de piraterie aérienne». Une «rumeur» aurait servi de base. La NZZ s’est même livrée à une critique des médias: «On trouve encore aujourd’hui des rapports sur le rôle de ce MiG-29 sur les sites Internet de grands médias occidentaux comme la BBC, CNN ou le New York Times».

Jusqu’à présent, presque aucun média n’a informé le public du rapport final de l’OACI: ni la télévision, ni les journaux de Tamedia ou de CH-Media, bien que ces derniers aient parlé pendant des jours de l’atterrissage prétendument forcé par un avion de combat MiG. Même depuis que la NZZ a pointé de manière évidente le 24 mai 2022 la «légende de l’interception» et le rapport de l’OACI, les autres médias ne se sentent pas obligés de rectifier leurs rapports antérieurs et d’en informer le public.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Moldavie: victoire européenne, défaite démocratique

L’Union européenne et les médias mainstream ont largement applaudi le résultat des élections moldaves du 28 septembre favorable, à 50,2 %, à la présidente pro-européenne Maia Sandu. En revanche, ils ont fait l’impasse sur les innombrables manipulations qui ont entaché le scrutin et faussé les résultats. Pas un mot non (...)

Guy Mettan
CultureAccès libre

Vive le journalisme tel que nous le défendons!

Pourquoi BPLT fusionne-t-il avec d’Antithèse? Pour unir les forces de deux équipes attachées au journalisme indépendant, critique, ouvert au débat. Egalement pour être plus efficaces aux plans technique et administratif. Pour conjuguer diverses formes d’expression, des articles d’un côté, des interviews vidéo de l’autre. Tout en restant fidèles à nos (...)

Jacques Pilet

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan

Les Européens devant l’immense défi ukrainien

On peut rêver. Imaginons que Trump et Poutine tombent d’accord sur un cessez-le-feu, sur les grandes lignes d’un accord finalement approuvé par Zelensky. Que feraient alors les Européens, si fâchés de ne pas avoir été invités en Alaska? Que cette hypothèse se confirme ou pas, plusieurs défis controversés les attendent. (...)

Jacques Pilet

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet

Des nouvelles de la fusion de «Bon pour la tête» avec «Antithèse»

Le nouveau site sera opérationnel au début du mois d’octobre. Voici quelques explications pour nos abonnés, notamment concernant le prix de l’abonnement qui pour eux ne changera pas.

Bon pour la tête

La bouderie des auditeurs de la SSR

Les derniers chiffres d’audience de la radio publique sont désastreux. La faute à l’abandon de la FM et à l’incapacité de ses dirigeants à remettre en question le choix de leurs programmes.

Jacques Pilet

Rencontre inédite avec le vice-président de la Douma russe

Non, il n’a pas de cornes ni de queue fourchue, ni même de couteau entre les dents. Il ne mange pas non plus d’enfants ukrainiens au petit-déjeuner. Piotr Tolstoy semble être un homme normal. Quoique. A la réflexion, l’arrière-arrière-petit-fils de l’écrivain Léon Tolstoï possède un sens de l’ironie et un (...)

Guy Mettan

«L’actualité, c’est comme la vitrine d’une grande quincaillerie…»

Pendant de nombreuses années, les lecteurs et les lectrices du «Matin Dimanche» ont eu droit, entre des éléments d’actualité et de nombreuses pages de publicité, à une chronique «décalée», celle de Christophe Gallaz. Comme un accident hebdomadaire dans une machinerie bien huilée. Aujourd’hui, les Editions Antipode publient «Au creux du (...)

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

Bon pour la tête étoffe son offre

Alors que les médias traditionnels se voient contraints de réduire leur voilure, les médias indépendants se développent. Cet automne, «Bon pour la tête» fusionnera avec «Antithèse», un site qui, comme le nôtre, résiste au conformisme dominant et aux idées toutes faites. Pour nos abonnés actuels, le prix ne changera pas, (...)

Bon pour la tête