Twitter/X, «bouillie globale» ou espace de liberté?

Publié le 23 août 2024
L’animateur d'Infrarouge, Alexis Favre, annonce non sans solennité dans «Le Temps» qu’il quitte la plateforme d’Elon Musk. Après l’avoir longtemps utilisée pour la promotion de l’émission et ses commentaires. Sagesse ou coup de tête? Les journalistes des vieux médias ont de la peine avec les réseaux sociaux. Jusqu’à les accuser de tous les maux. Dommage. Car lorsqu’on a appris à éviter les montagnes de sottises et d’éructations colériques, on y trouve des informations, des points de vue fort intéressants. Des témoignages qui interpellent.

Cher Alexis Favre, es-tu bien sûr qu’il soit raisonnable de tourner le dos, comme l’a fait officiellement la RTS, à un espace médiatique qui captive les nouvelles générations, détournées, elles, de la presse et de la télé? Le duo Musk-Trump t’a donné des boutons, on comprend. Mais personne ne t’oblige à t’arrêter sur les quelques noms que tu cites et que tu détestes. Il y a certes des avalanches de sottises qu’il convient d’éviter. Mais tu parles de «bouillie globale». Un peu court, non? N’as-tu pas vu toutes ces opinions compétentes, souvent divergentes, ces experts de ceci et de cela que l’on n’entend pas sur tes ondes? Si l’on veut donner le goût du journalisme aux obsédés du portable, il faut passer par là. Nombre de chaînes d’infos – n’est-ce pas Darius Rochebin? – et de sages journaux l’ont compris. Ils diffusent des extraits censés donner envie d’aller aux sources. Un digest précieux pour qui ne peut pas tout voir et tout lire. Même les plus convenables institutions s’y mettent. L’armée suisse, par exemple, use et abuse des réseaux!

Ignorer tout ce pan de la population qui a changé ses habitudes, c’est le mépriser, c’est s’aveugler, c’est s’enfermer dans le confort du «mainstream».

Tu prétends, cher Alexis Favre, être trop âgé pour explorer Tiktok. Voyons! Toi, jeune homme si fringant! Il y faut certes l’esprit vif et des doigts agiles pour balayer à toute vitesse les jolies dames narcissiques et les blablas absurdes. Mais les algorithmes, une fois reconnus les sujets d’intérêt de chacun, permettent de s’y retrouver. Et là aussi il y a des perles. Mieux encore: des éclairages inédits sur la réalité du monde et la nôtre. Rappel: cette plateforme est fréquentée par 1,7 milliard de personnes. Il y en aurait un demi-million en Suisse. Pas tous des gamins. Les bouder, vraiment?

Je citais l’autre jour le cas de Cuba en plein désarroi. On trouve sur la plateforme chinoise – c’est un comble – un début de démocratie. Les mécontents du régime s’y expriment abondamment, des simples gens fâchés contre les pénuries et les pannes d’électricité aux discoureurs de tout poil. Et c’est là, dans le pêle-mêle, que le Président et chef du Parti communiste répond, argumente, tente de convaincre. Il sait bien que les Cubains ne regardent plus la télé et ne lisent plus les journaux domestiqués. D’autre part, si l’opposition populaire au Vénézuela, privée de la présidence par une grossière manipulation électorale, manifeste encore dans les rues, c’est grâce à Tiktok. Et Gaza? Quand les téléjournaux se lassent d’en parler, chaque jour des images de la tragédie nous arrivent par ce canal. Refus de l’oubli facile.

D’accord, direz-vous, ce peut être utile pour les pays en dictature, en guerre, mais pas pour nous. C’est ignorer que là comme sur d’autres réseaux, on trouve des prises de parole non entendues ailleurs. Sur tant de sujets sensibles. Et puis on découvre aussi des tranches de vie, racontées à la première personne, parfois fort bien.

Tu veux des exemples, cher Alexis Favre? Tu maîtrises bien les langues étrangères? Je m’y essaie. Mais j’en reste au parler scolaire. J’aime bien les mettre à jour avec des tournures plus populaires dispensées par une ribambelle d’enseignants improvisés qui trouvent la manière aisée et ludique. Plus sérieusement: je suis tombé sur une cascade de témoignages qui m’ont réjoui. De jeunes étrangers, frontaliers ou établis en Suisse, des Français surtout, des Espagnols aussi, s’adressent à leurs copains restés au pays et racontent ce qu’ils vivent au quotidien. L’un d’eux commence par une vigoureuse apostrophe: «Ne venez pas en Suisse!» Avant d’ajouter: «… si vous n’aimez pas trop travailler. Mais si quelques heures de plus qu’en France ne vous font pas peur, alors oui, venez!» Il précise ensuite que certes les salaires sont plus élevés mais les coûts aussi, le logement, l’assurance-maladie, la nourriture… Et complète par une remarque qu’il juge importante: «Certes les employeurs regardent votre CV, vos diplômes, mais ils tiennent compte avant tout de votre compétence pratique et de votre motivation. Si vous les démontrez, vos chances de promotion, étape par étape, sont bien meilleures qu’en France!» Une jeune femme, fraichement arrivée, reconnaît que se faire des connaissances n’est pas facile. «Mais allez dans un club de sport! Ou allez papoter à Vidy le dimanche matin à l’heure des grillades familiales… Les gens sont accueillants.» Une autre, frontalière qui travaille à temps partiel, va jusqu’à vanter l’abonnement demi-tarif des CFF pour traverser le lac. Un Espagnol établi depuis dix ans à Zurich n’en dit que du bien, trouve les Alémaniques tolérants et accessibles. A une condition, apprendre le schwyzerdütsch! Quant à ce Brésilien qui vient d’arriver, il est épaté… par l’entretien des routes et des bâtiments, la propreté partout, les trains à l’heure. «En Suisse, on voit où passe l’argent des impôts! Quelle leçon pour nous, Sud-Américains!»

Les râleurs helvétiques à tout crin feraient bien d’écouter le contentement de ces hôtes travailleurs. Cela n’empêche pas de voir aussi ce qui cloche par ailleurs, d’avoir la dent dure. Plus encore qu’habituellement sur le plateau d’Infrarouge!

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