L’Espagne des profondeurs en trois récits, par un Valaisan

Publié le 29 novembre 2017
On ne comprend rien à l’Espagne sans l’histoire. Rien des drames d’aujourd’hui sans se souvenir de ceux d’hier, infiniment plus sanglants. Bien sûr la terrible guerre civile du 20e siècle qui l’a fracassée. Mais aussi le passé plus ancien que rappellent partout tant d’œuvres d’art, tant d’églises, tant de palais mauresques. L’écrivain valaisan Christophe Gaillard, enseignant de son état, marié depuis 22 ans à une Madrilène d’origine andalouse, a plongé, erré, rêvé dans cette Espagne des profondeurs. Il publie un livre composé de trois récits sous le titre énigmatique: «Boadbil et la Femme qui pleure». On y devine ses propres parcours initiatiques offerts au lecteur, averti ou non, pour mieux percevoir l’intensité de ce pays, dans ses différences, ses blessures et ses désirs.

Le premier texte invite à la découverte d’un génie emblématique de cette culture chargée de violence et de sensualité: Luis Bunuel. Le narrateur évoque ses films mais raconte surtout des rencontres, réelles ou imaginaires, avec ceux qui ont approché ce personnage emporté dès l’enfance par la révolte, appelé à utiliser le cinéma comme une arme subversive. Pour aller toujours plus loin. Il cherchait, dit-on, des œuvres qui «brisent la mer gelée en nous» selon le mot de Kafka. Pousser la sexualité aux confins de la dramaturgie: «J’ai assez dénoncé l’hypocrisie des prêtres et des jocrisses devant le péché de chair, et pourtant je déteste l’érotomanie qui n’a absolument rien à voir avec l’érotisme.»
On devine une clé de compréhension de la culture espagnole dans cette citation: «Notre folie, plus que notre bêtise, me semble être la seule chose intéressante à filmer.»
Ce créateur impétueux, athée et pétri de références religieuses, a fasciné l’auteur qui tente d’exprimer son émoi au travers de divers truchements pas toujours convaincants. On eût aimé qu’il fasse entrevoir sans artifices narratifs le vertige où nous précipitent Don Luis et son œuvre.
L’Espagne riche de la Catalogne, riche de l’Espagne
Christophe Gaillard se dévoile davantage dans le deuxième texte. Un chercheur s’est mis en tête d’établir l’influence de l’art catalan des siècles passés sur Picasso. Il rencontre une femme, Vera, qui le séduit et nous séduit à chaque page. Ô sublime féminité espagnole? «N’importe où, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, il y a une manière de marcher la tête haute, les épaules droites, le bras digne, qui sait nous embellir. Personne ne nous dit pourquoi il n’y a pas dans les pays latins cette crainte devant la vie qui se fait et se défait, mais cette acceptation puissa...

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