Surveillés de partout. A devenir parano?

Les réseaux sociaux? Ils sont là pour nous permettre de nous afficher. Il est donc vain de se plaindre que des indésirables viennent y fouiner. Mais une histoire que vient de révéler la NZZ est parlante à maints égards. Un doctorant de l’université de St-Gall a tweeté des propos peu aimables à l’endroit de la politique sanitaire chinoise. Sa professeure a reçu des protestations directement de Chine et décidé d’interrompre le travail de ce trublion! De crainte de ne plus recevoir de visa de ce pays qu’elle étudie. Quant au jeune homme, il n’est pas près de revoir sa compagne qui vit… à Wuhan.
Quelle protection des données en Suisse?
Autre nouvelle de la semaine. Le pape américain de la lutte anti-Covid, l’immunologue Anthony Fauci, révèle qu’il a reçu des menaces épouvantables par mails ayant transité par le serveur suisse protonmail.com établi à Genève. Cet internaute serait identifié et poursuivi. Parce que son adresse IP aurait été livrée aux autorités américaines? Pas du tout, explique l’entreprise. Parce que le pseudo utilisé l’était aussi sur Instagram. A voir… Le patron de protonmail.com, Andy Yen, assure qu’il ne révèle l’identité de ses clients que sur demande des seuls services de la Confédération. Dans le strict respect de la protection des données pratiquée en Suisse.
Ce qui pousse l’avocat spécialisé Martin Steiger (steigerlegal.ch) à rappeler que cette protection est beaucoup moins stricte chez nous que chez nos voisins. On peut même dire qu’avec la loi dite «anti-terroriste», elle est quasiment fictive.
L’affaire Pegasus? Avec ce logiciel israélien qui permet aux services de renseignements de pirater le mobile des cibles, on est dans le haut de gamme. Pas à la portée des fauchés. Ces raids informatiques sont très chers et soumis au feu vert… des agents d’Israël. Il y en a eu cependant des dizaines de milliers sur des dirigeants divers, des journalistes et des opposants politiques. En Europe, un seul Etat y a eu recours, la Hongrie. Qui n’a d’ailleurs pas démenti.
Démasquer et bloquer les opinions divergentes
Tout cela est fâcheux, vous dites-vous, mais en quoi cela me concerne-t-il? Moi qui n’ourdit aucun plan criminel? Saine réaction. La paranoïa est mauvaise conseillère. Mais il est utile de savoir que maintes surveillances s’exercent non seulement pour traquer les délinquants mais aussi pour démasquer et parfois bloquer les opinions divergentes. La censure de Facebook ou Youtube, exercée au moyen de l’intelligence artificielle, est patente. Mais il y a une foule d’autres renifleurs à l’action.
Est-ce grave, docteur? Après tout, si nos achats sur le net ou au magasin, grâce aux cartes de fidélité, disent à peu près tout de nos goûts et de nos portemonnaies, qui accepte de livrer ainsi ses données n’a pas à s’en plaindre. Qui converse sur une messagerie, quelle qu’elle soit, doit savoir que dans des cas extrêmes, l’existence de cet échange, sinon son contenu, peut être connu de la police. Ce qui a sa raison d’être. Mais ce qui peut aussi conduire à des dérapages.
La police submergée par les informations
Il y a aussi une bonne raison de ne pas paniquer. Les services de police et de renseignements disposent d’une telle masse d’informations sur tout et sur tous qu’ils sont submergés… et ne s’y retrouvent guère. L’intelligence humaine reste infiniment plus efficace que celle attribuée aux algorithmes. Ce n’est évidemment qu’à moitié rassurant. Tous pleins de bon sens, tous capables de mesurer les enjeux, tous rompus à l’analyse de textes, nos chers enquêteurs de tout poil? Qui se souvient de l’affaire des fiches à la fin des années 80 en Suisse a de quoi en douter. Rappel: entre 700 000 et 900 00 personnes fichées à tort et à travers. Avec des conséquences fâcheuses pour certaines d’entre elles. Certes, la guerre froide brouillait les esprits. Chahutés, ceux-ci ne le sont-ils pas aujourd’hui comme hier? Qui peut croire que depuis lors, comme par miracle, ils seraient devenus plus éclairés et avisés?
Enfin, si l’on lève le nez un peu plus haut, à voir le spectacle des bipèdes qui grouillent autour de cette terre, gare au tournis. Le traçage du commun des mortels est total en Chine et ailleurs en Asie. Les outils fouineurs utilisés partout en proviennent, ou alors d’Amérique où règnent les brasseurs géants de mots et d’images. Or quand on a en mains ces jouets-là, c’est humain, personne ne résiste à la tentation de les utiliser «un max». Quant aux gardiens de la loi, quand il y en a, ils ne savent plus trop où donner de la tête dans le tohu-bohu qui se déchaîne bien au-delà de leurs juridictions.
En tout cas, si des services chinois se piquent un jour de curiosité pour les données de notre ménage helvétique, ils n’auront qu’à se servir. Puisque la Confédération est en passe de confier un énorme paquet d’informations à Amazon et Alibaba. Au détriment d’entreprises suisses capables de fournir ces prestations. On n’est jamais mieux servi… que par les autres.
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