Splendeurs et misères de l’autoédition

Publié le 26 février 2018
Plus besoin de trouver un éditeur, ni de passer par le coûteux compte-d'auteur pour espérer vivre de ses écrits: depuis quelques années, les écrivains peuvent s'autoéditer gratuitement grâce aux nouveaux outils du web et en récolter les fruits sans intermédiaire. Auteure d'un roman, «Eternelle», Christine Ley a rejoint il y a six mois la planète indé. Chronique d'une aventure plus rocailleuse que prévu.

En 2003, ma première expérience d’auteur fut… instructive. Sollicitée par un éditeur pour la publication d’une enquête-reportage, j’en ai réglé les frais de ma poche, avant de traverser quasiment en solitaire la promotion de ses 3000 exemplaires. Encore généreux par rapport à ce qui se pratique actuellement pour un premier livre, mes droits d’auteur se montèrent au dixième du prix de vente des 2300 ouvrages écoulés. Pas un centime en revanche sur les 700 restants, qualifiés par l’éditeur de retours écornés libraires.

Pas question de rejouer les pigeonnes pour ma deuxième parution, un roman sur l’après-vie. Je rejoindrai en toute liberté le cercle des indés (auteurs autoédités). Amazon propose justement depuis 2012 aux écrivains francophones un outil sophistiqué leur permettant de concevoir leur ouvrage de A à Z. Du contenu à la couverture, en passant par la mise en page, en version ebook et surtout (enfin!) papier. Les algorithmes font le reste, plus le livre est commandé, commenté, plus il est visible, donc acheté.

L’alléchante carotte

Une alléchante carotte: en démarrant avec les 5000 adresses de courriel de mes anciennes activités et un nombre conséquent d’amis sur Facebook, je ne peux que rejoindre rapidement la grande famille des indés à succès, comme l’auteure de Cinquante nuances de gris ou plus proche de nous, Aurélie Valogne, Alice Quinn ou Jacques Vandroux, trois autoédités français dont les ventes ont désormais largement dépassé les 100’000 exemplaires.

En procédant aux dernières relectures-réécritures de mon roman, je me prépare donc à coiffer les excitantes casquettes d’éditeur, de distributeur, de libraire, de réseauteur social et d’attaché de presse… et d’en encaisser les juteux bénéfices! Les redevances des indés sont importantes, entre 35 et 70 % du prix du livre, contre 4 à 8 % aujourd’hui dans le circuit traditionnel. Bon, les couvertures et typos proposées gratuitement par les plateformes ne me plaisent guère, je m’offre le professionnalisme d’une graphiste. Un webmestre également. Mon investissement se remboursera de toute manière par la suite!

Lulu, les robots et moi

La joie d’apposer un point final à mon roman s’estompe légèrement au moment de la mise en ligne, annoncée comme ultra-simple par les plateformes de vente: que de nuits passées à «dialoguer» avec les robots d’Amazon et de Lulu, jamais satisfaits de ce que je leur fournissais, mais bien incapables de m’expliquer en quoi cela ne convenait pas. Des milliers d’essais avant d’obtenir un résultat adéquat. Quelle victoire le jour où j’ai tenu mon premier exemplaire correct en main!

Des milliers d’essais.

Le parcours du combattant a continué. Mon imposant mailing et un barattage des réseaux sociaux ne m’ont valu que… 50 ventes en un mois. Quasi aucune le suivant! J’ai alors décidé de m’appuyer sur mon job précédent pour organiser une tournée de conférences avec vente des livres. Une nouvelle «délicieuse surprise» m’attendait: commander mes exemplaires par paquet de vingt-cinq m’a valu de les recevoir dans un colis éventré, avec quelques livres carrément invendables. Inutile d’espérer le moindre secours des plateformes qui nous obligent à renvoyer à nos frais les livres abîmés, sans garantie de remboursement. Toujours mieux que les colis qui ne me parvenaient pas du tout, égarés quelque part entre un improbable site de fabrication polonais et les douanes helvétiques.

Colis éventré, livres invendables…

Quand c’est trop tard, c’est trop tard

Quelques gros coups de cafard plus tard, j’ai enfin compris que les grands succès d’indés soutenus par les algorithmes, c’était valable il y a cinq ans, lorsque les premiers autoédités francophones se lançaient sur le marché et accédaient rapidement au top 100, pour autant que leurs œuvres étincellent, évidemment. Aujourd’hui, à moins d’être une star ou un blogueur multi-K, inutile d’espérer autre chose qu’un miracle pour émerger. D’après mes calculs basés sur le dernier rapport de la Bibliothèque nationale de France, 15’000 livres-papier ont été autoédités en 2016 sur les plateformes de vente… Un chiffre en constante progression. Cette même année, toujours en France, un livre sur 5 émanait d’un indé, contre un sur 8 en 2013. Aux Etats-Unis, le nombre d’autoédités a dépassé le nombre d’édités classiques en 2009 déjà, mais les ebooks sans version papier sont compris dans le lot, contrairement aux estimations françaises.

Pas question de baisser les bras! L’indé qui vit de ses écrits existe, même s’il ne le claironne pas sur les toits. Charlie Bregman, autoédité de la première heure, m’indique en connaître au moins une dizaine, à l’instar de Jean-Philippe Touzeau, heureux papa d’une série de dix thrillers écrits en cinq ans. Des écrivains qui ne craignent pas de mouiller leur chemise pour en promouvoir d’autres. C’est qu’il règne une puissante solidarité entre indés: ils se lisent volontiers entre eux, se promeuvent mutuellement, échangent leurs bons plans sur des forums. De nombreux auteurs-entrepreneurs actualisent sans cesse blogs et tutoriels pour expliquer les astuces de l’autoédition aux nouveaux venus.

Patience, culot et imagination

En me familiarisant progressivement avec ce monde en pleine expansion, je découvre un nouvel avantage de l’autoédition: le temps travaille pour l’indé. Son ouvrage ne disparaît pas des consoles des libraires si ses ventes ne décollent pas dans les trois semaines. Pour peu qu’il soit doté d’un brin de patience, de culot et d’imagination, il a toutes les clés en mains pour développer son petit commerce. Il peut proposer des séances de dédicaces dans les librairies indépendantes, produire des vidéos originales, organiser des lectures sauvages dans les parcs ou participer à un Salon du livre des auteurs éditeurs (si, si, ça existe!). Pas de tour d’ivoire non plus pour les indés. Comme ils n’hésitent pas à indiquer leurs coordonnées dans leurs ouvrages et sont accessibles sur les réseaux sociaux, ils dialoguent avec leurs lecteurs, les connaissent, savent (en général) les titiller sans les lasser…

L’autoédité ne bénéficie en revanche pas de la caution d’un éditeur, ce qui lui barre l’accès aux médias, déjà submergés de livres «classiques», à l’instar des libraires. Autant dire qu’il guette tel Ezéchiel les critiques évaluant son bouquin sur les plateformes. J’ai respiré le jour où un premier 5/5 a salué Eternelle, mais pas cessé de baliser pour autant: une seule critique à une étoile et la cote de l’indé plonge immédiatement, le reléguant aux oubliettes de la plateforme. Aux Etats-Unis, Amazon a du prendre des mesures pour empêcher des auteurs de démolir leurs rivaux! On n’en est heureusement pas là en terres francophones.

En attendant la traînée de poudre

Je reste stupéfaite de la qualité de certains écrits indépendants, souvent trop originaux pour rentrer dans une collection. Le tout à prix beaucoup plus modestes que ceux des édités classiques, soit entre 1 et 5 euros, tarifs qui restent intéressants pour l’indé qui touche 70 % du prix de vente. Si l’auteur évolue dans un milieu d’adeptes de la lecture sur support électronique, une diffusion à la façon d’une traînée de poudre peut tout à fait se produire.

Des développements qui n’échappent pas à la vigilance de quelques… éditeurs! Michel Lafon s’est fait remarquer pour son assiduité à récupérer des indés en plein élan comme Agnès Martin-Lugand, leur offrant d’intéressants pourcentages d’auteur et une visibilité stimulant puissamment leurs ventes mutuelles. Une auteure publiée chez Eyrolles m’a d’ailleurs confié que les éditeurs louchaient de plus en plus sur les autoédités, appréciés pour leur dynamisme, leur inventivité à promouvoir leurs œuvres et surtout leur lectorat fidélisé.

L’autoédition et l’édition traditionnelle ne seraient-elles désormais plus si étanches?

Aujourd’hui, six mois après publication, mes ventes prennent le monte-charge (pour l’ascenseur, on attendra encore un peu). Mes redevances mensuelles me permettent désormais de régler mes primes d’assurance (!) et quelques repas. Ma seule certitude: je vais attaquer le suivant, lequel entraîne souvent le succès du premier, parole de nombreux indés…


«Eternelle», autoédité par la journaliste Christine Ley. www.christineley.ch

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