Publié le 9 septembre 2022

Le silence en image (1/2). © M.F.

Silence. Aujourd’hui, j’écris le silence. Le silence des mots, des idées tumultueuses, de l’orage. Par les temps qui courent – mais où courent-ils donc? –, quoique en légère panne de pandémie, on parle toujours beaucoup de catastrophes, de guerre, de harcèlement et de tous sujets sur lesquels il est juste de s’exprimer, de s’indigner, de s’inquiéter. Mais ne serait-il pas aussi bon parfois de se taire? Un instant. Rien qu’un instant, un instant seulement.

Le silence que je vous propose n’est pas celui des résignés, des démissionnaires, des incapables de penser, le silence que je vous propose est un silence critique, autoréflexif. Jacques Pilet écrivait il y a peu: «Allez comprendre! Les journalistes ont pour tâche d’expliquer le comment et le pourquoi de ce qui se passe. Mais là, pardon, nous sommes dépassés. Sur tant de sujets, c’est à n’y rien comprendre.» C’est dans cet esprit que je place mon silence.

On nous gave. Nous sommes gavés. Gavés de fake news, gavés par les trolls, nous n’en pouvons plus de nous demander qui croire quand nos dirigeants font du mensonge une stratégie. Faut-il croire Zelensky dans son angélisme victimaire, faut-il croire Poutine dans son nationalisme réparateur d’humiliations passées, faut-il croire Biden dans son opportunisme géopolitique, Xi Jin Ping dans sa mégalomanie? Il n’y en a qu’un seul qui ne posait pas problème, c’est BoJo. Lui, on sait qu’il ne faut pas le croire. Mais Boris est hors-jeu, et c’est dommage, parce que lui au moins était amusant. Enfin, façon de parler. Il se moquait des autres mais aussi de lui-même, un clown ébouriffé, méticuleux dans sa décoiffe. Un clown. Moi, j’ai un faible pour Boris, j’aime bien les clowns, j’ai toujours aimé les clowns.

Aujourd’hui, je suis à la frontière russe, en Estonie, à Narva. Sous mes pieds l’Estonie, de l’autre côté du fleuve, à moins de cent mètres car le fleuve n’est pas bien large, la Russie. Et tout est calme. Personne ne vocifère, on se croirait presque en paix. Un silence bienfaisant, loin de tout, loin des tonitruantes agitations politiques, médiatiques, étatiques. Ce silence du monde permet le silence intérieur, grisant. Pour peu, on deviendrait dépendant! Bon, le monde reste le monde, le vacarme reprendra. L’engagement du discours et de la parole avec. Mais pour le moment, Marthe cède la place à Marie. Marthe reviendra et elle a sa place, car, s’il y a de la beauté dans la contemplation, il y en a aussi dans l’action.

Ce silence donc, mon silence, je vous le propose. Mon silence, je le redis, n’est pas celui de la page blanche effarouchée, c’est une pause dans la partition, un soupir ou un demi-soupir, une respiration. Emplissez-le à votre gré. De vide ou de bruit, de poésie ou d’émotion. Selon votre rapidité de lecture, il durera 3 secondes d’indifférence ou 2 minutes 35 de bonheur. Prenez votre temps. Une simple minute de silence est déstabilisante pour qui n’en a pas l’habitude, pour qui n’a jamais le temps, mais une minute de silence est la vraie mesure du temps. 

Pour illustrer mon article, j’ai inséré une image. Blanche, évidemment. Ne la sautez pas trop vite, regardez-la bien. Elle est importante. En l’état. On peut y deviner la promesse d’un espoir en arrière-plan, la promesse d’un monde qui un jour retrouvera des couleurs légères, qui s’enivrera de quiétude. Tôt ou tard. Quand il se sera calmé. Car il va se calmer.

Alors voilà: «

 

 

»

Le silence en image (2/2). © M.F.

Et j’ajouterai pour être complet: «                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      

 

 

 

».

Cela dit – si j’ose dire –, comme je ne veux aujourd’hui ni commenter, ni juger, ni condamner pas plus qu’absoudre, je vais décrire. Décrire mon voyage et Narva qui en est le point de départ, décrire la Russie telle que je vois son paysage de l’autre côté de ce petit fleuve.

Mon voyage: de la frontière russe à la frontière ukrainienne. C’est pas long me direz-vous, ces pays se touchent. Oui mais seulement voilà, j’ai décidé de passer de la frontière russe à la frontière ukrainienne… en longeant la mer. Et là, c’est long. Très long. Faites une pause dans votre lecture pour imaginer le périple, il faut un temps pour le comprendre. De Narva, rejoindre Tallin, puis Riga, quitter un temps le littoral de la mer Baltique pour contourner Kaliningrad – parce que je ne suis quand même pas si fou que ça –, longer la côte polonaise, puis allemande, contourner la presqu’île danoise où je me hisserai sur la pointe des pieds de mon imagination pour tenter d’apercevoir la pointe du Groenland, puis je retrouverai Amsterdam où j’irai peut-être consommer de la psilocybine (totalement déconseillée sauf encadrement médical aux HUG); je traverserai Knokke-le-Zoute en pensant à Brel, glisserai sur le dos de la France, frôlerai la forêt de Brocéliande, irai manger des huîtres à Arcachon (eh non, je n’ai pas honte!), rejoindrai Compostelle autrement qu’à pied pour une fois, longerai mon Portugal tant aimé pour revenir en Méditerranée, espagnole, française, italienne, croate, grecque, longeant le golfe du Lion, la baie des Anges, et les différentes mers sous-produits de la grande bleue: de Ligurie, Tyrrhénienne (cauchemar des dictées), Adriatique, Ionienne, Egée, et j’en oublie sans doute. Le détroit des Dardanelles me mènera à la mer de Marmara où je buterai sur la frontière turque que je ne traverserai pas, car je sais, pour l’avoir vécu, que le hasard est un mot ottoman qui peut se révéler corrosif. Petit coup de canif donc dans le contrat littoral pour rejoindre la mer Noire, les côtes bulgares, puis roumaines, pour terminer à Sulina d’où je contemplerai, au loin, si le temps est clair, Odessa. 

De Narva à Sulina. Source: d-map.com.

Un voyage, une métaphore. Celle de la distance insondable qui sépare deux pays qui, d’un côté se touchent par la terre et leur fraternité, et d’un autre sont si éloignés par leurs idéaux politiques… et en passant par le littoral. Un immense périple traversant d’anciens pays ennemis devenus solidaires au point d’avoir su renoncer à contrôler leurs frontières: un espace appelé Europe.

La Russie vue de l’Estonie, de l’autre côté du fleuve Narva © MF

J’en viens à la description de mon point de départ qui sera aussi courte que le silence peut parfois sembler long. Une rive paisible – alors que la Russie est belliqueuse –, des habitants souriants – alors qu’ils devraient être moroses –, une eau limpide, des filles en robes d’été qui frémissent dans un vent frais, des mecs qui ressemblent à des marins, qui ont la beauté des marins et leur souplesse chaloupée, des fragrances iodées, des poissons-volants que les pêcheurs n’attrapent pas. J’idéalise, mais moi aussi j’ai le droit de mentir… 

Aujourd’hui en fait, le temps est variable: il varie entre faibles averses et fortes pluies. Un temps propice à la discussion, aux confidences au chaud, dans un bar ou un musée. Oleg, Tatjana, Vlada et Natascha me racontent leur Narva, leur vie dans ce bout du monde qui touche la Russie de si près qu’on l’appelle le talon d’Achille de l’OTAN. Ça, ce sera pour ma prochaine visite dans les pages de BPLT. Si tout va bien.

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