Retour de flammes pour les écologistes en Europe

Publié le 4 août 2023

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen se rend sur les lieux des inondations en Emilie-Romagne, en mai dernier. – © European Commission (Dati Bendo) – source officielle

L’horizon s’assombrit. Après deux années de progrès nets, déclenchés par l’irruption des cataclysmes climatiques dans nos quotidiens, entre inondations meurtrières et incendies dévastateurs, il semble que le retour de flammes, en cet été caniculaire, guette les politiques écologiques européennes. C’est ce qu’explique la professeure honoraire à l'université de Tübingen Nathalie Tocci dans les pages opinion du «Guardian».

L’image était forte et tranchait avec un paysage politique acquis aux préoccupations écologiques. En mai dernier, des inondations ravagent la région italienne d’Emilie-Romagne. En visite sur les lieux, bottes en caoutchouc et sourire charmeur, la Première ministre Giorgia Meloni désigne le coupable selon elle: non pas le changement climatique, mais les politiques écologiques, au contraire, qui auraient empêché la construction de barrages et d’infrastructures pouvant limiter les dégâts. Un pavé dans la marre, qui tranche avec les résolutions prises au niveau étatique comme européen depuis 2021, souligne Nathalie Tocci. 

Ni la pandémie, ni la guerre en Ukraine n’avaient pu faire dévier l’Europe de ses objectifs. En plus d’accomplir de réels progrès dans son ambition «zéro carbone» à l’horizon 2050, l’UE avait saisi ces deux crises pour avancer les pions d’un «Green Deal». Des lois, des réglements et des recommandations, certes, mais aussi et surtout de l’argent: 37% des fonds de secours européens alloués à la transition énergétique, des investissements dans les énergies renouvelables pour accélérer la fin de la dépendance au gaz russe…

«Il y a quelques semaines, un haut fonctionnaire de la Commission européenne m’a confirmé que l’UE avait réalisé la plus grande partie de son programme vert au cours de ce cycle législatif, bien au-delà des attentes les plus optimistes de Bruxelles il y a quelques années.»

Seulement, depuis quelques mois, le rythme piétine, les divergences se font jour. La sortie de Giorgia Meloni, d’abord. Que l’on a pu mettre ailleurs en Europe sur le compte d’une volonté de provocation de la part d’une droite autoritaire et largement décriée. Mais Mme Meloni n’est pas la seule à freiner. La crise de l’inflation, d’une part, migratoire d’autre part, sont venues percuter les objectifs verts, montrant que l’Europe n’était pas prête à mener les combats économique et écologique de front. L’appel d’Emmanuel Macron à «faire une pause» dans l’agenda écologique, au nom de la lutte contre l’inflation, a fait scandale chez les verts européens. La Pologne, de son côté, plaide encore pour des exemptions aux contraintes écologiques pour sa politique énergétique reposant en grande partie sur le charbon. Les agriculteurs néerlandais sont en pointe dans le combat contre les restrictions sur les pesticides, arguant avec certains de leurs homologues que cela rendrait l’agriculture européenne non compétitive et la mènerait à terme à la mort. Les constructeurs automobiles allemands, quant à eux, sont parvenus à dévier l’objectif de 2035 pour la fin des véhicules thermiques, ce qui recule d’autant la fin de la dépendance aux hydrocarbures…

Toutes ces revendications peuvent certes s’expliquer par des préoccupations économiques immédiates, mais il ne s’agit pas seulement d’un problème de hiérarchie des priorités et du choix du court sur le long terme, selon Nathalie Tocci. Il faut y voir un mouvement politique de fond.

Première hypothèse pour expliquer ce revirement: le fait que le changement climatique produise désormais des phénomènes tangibles, constatés par tous. Il n’est plus question de se payer de mots mais d’agir, et des mots aux actes, il y a un pas que certains rechignent en réalité à franchir. Mais dans cette hypothèse, il convient de rester optimistes: «Il est tout à fait naturel que les « perdants » veuillent faire entendre leur voix, mais c’est à la politique de canaliser ce désaccord et de trouver des moyens de compenser ces voix opposées (…). La réalité de la décarbonisation sera certainement différente du plan initial, à mesure que les répercussions sociales, économiques et politiques se feront sentir et que des percées technologiques imprévues se produiront. En bref, le « greenlash » prouve que le mouvement vers le zéro net est réel, et non que les Européens font marche arrière en matière d’action climatique.»

Deuxième hypothèse, plus pessimiste: la montée en puissance dans plusieurs pays européens des partis de droite populiste, qui ne se montrent plus climatosceptiques ouvertement, mais dénoncent la priorité donnée aux politiques écologiques sur les actions économiques et sociales, ou encore les dégâts causés sur l’industrie par la révolution verte. Des populistes qui, selon Nathalie Tocci, ne seraient «écolos» qu’en apparence…

L’arrivée au pouvoir de leaders populistes dans une majorité de pays membres de l’UE aurait de réelles conséquences sur l’agenda écologique, avance-t-elle. Il est dommage que l’auteur n’aborde pas les raisons des succès électoraux de ces partis, qui arrivent bel et bien au pouvoir par les urnes. S’agit-il d’un «vote de rejet» comme on aime à l’analyser? Ou les électeurs sont-ils réellement convaincus par les discours déplorant le saccage des paysages par les éoliennes et les panneaux photovoltaïques, le sacrifice de la compétitivité agricole et industrielle au profit de la transition énergétique, prônant la souveraineté écologique et la préservation des traditions agricoles, culinaires et culturelles?

Une forme d’écologie radicale, qui se traduirait par des atteintes aux libertés privées au nom de la préservation de l’environnement, provoque, naturellement, des réactions épidermiques. Ce sont deux mondes qui s’affrontent, irréconciliables. L’auteur pose elle-même les bases de ce paradoxe mais n’y apporte pas de solution: pourquoi, alors que les conséquences du changement climatique sont à notre porte, les peuples européens freinent-ils des deux pieds devant la révolution nécessaire pour limiter la catastrophe?

A mesure que les divergences se creusent, le «greenlash» européen ralentit l’avancée de la décarbonation et mine les efforts déjà réalisés. Une raison supplémentaire de suivre avec attention les élections européennes de 2024…


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